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Un repas en hiver de Hubert MINGARELLI

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥

Pendant la seconde guerre mondiale trois soldats décident d'échapper aux fusillades matinales éprouvantes en acceptant en contrepartie de partir à la chasse à l'homme juif au fin fond de la forêt polonaise. Il leur faut revenir avec un prisonnier au camp. Le narrateur, Emmerich et Bauer arpentent alors la région, tétanisés par le froid qui règne en cet hiver rigoureux. 

En chemin chacun partage un peu de sa vie avec les autres, dans un élan fraternel consolateur. Ainsi Emmerich avoue s'inquièter pour son fils resté là bas et sur le fait qu'il pourrait prendre un mauvais chemin en apprenant à fumer. Les autres se penchent sur cette épineuse question et réfléchissent aux solutions possibles, permettant ainsi à leur esprit de s'évader loin de cette guerre meurtrière. 

La réalité se rappellent à eux par hasard quand ils trouvent un juif dont le sort semble scellé. Tiraillés par la faim ils s'installent dans une ferme abandonnée avant de ramener leur prisonnier au camp, et se préparent alors un repas avec le peu qu'ils ont. Survient un polonais qui bouscule le fragile équilibre du repas. Profondément antipathique, sa haine contre le juif entraîne chez les soldats un élan protecteur, presque malgré eux. Cette trêve durera-t-elle ?

Il n'est guère évident pour ces hommes d'appréhender le meurtre, et un détail infime peut leur rappeler qu'ils ont face à eux avant tout un homme, qui pourrait être leur fils, leur frère, leur père. Le narrateur est ému par un détail sur le bonnet du juif : un flocon, preuve qu'une mère aimante a tricoté pour lui ce petit dessin minuscule qui le rend pourtant humain.

Ce repas en hiver qu'ils partagent met en lumière les contradictions de ces soldats réduits à n'être que des demi-hommes à cause de cette guerre qu'ils n'ont pas choisie. Ce ne sont ni des bons ni des méchants, ni des anges, ni des brutes, juste des victimes d'une logique implacable absurde. 

 

Présentation de l'éditeur : Stock 

Du même auteur : Une rivière verte et silencieuse ; L'incendie

D'autres avis : Jérôme  ; Clara ; Cathe 

 

Un repas en hiver, Hubert Mingarelli, Stock, 2012, 144 p., 17 euros

Un repas en hiver, Hubert Mingarelli, J'ai Lu, 2014, 7.20 euros

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Canada de Richard FORD

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥

"Quelles que soient les évidences d'une vie, la personne qu'on croit être, ce qu'on a à son actif, ce dont on est fier, ce dont on tire sa force vitale, tout peut toujours arriver à la suite de tout et du reste." p. 362

Great Falls Montana 1960. Dell Parsons et sa soeur jumelle Berner ont 15 ans quand se produit un évènement sismique qui influence leur vie de façon irrémédiable : leurs parents braquent une banque et se font arrêter. Pourtant rien ne prédispose ce couple à commettre l'irréparable : leur père est un ancien de l'Air force et leur mère est institutrice. Si l'un a tendance à se lancer dans des combines peu claires, l'autre semble avoir les pieds sur terre, et pourtant, une spirale difficilement contrôlable les mène vers l'illégalité. Le talent de Richard Ford est de décrire pas après pas, minutieusement, comment les êtres peuvent atteindre un point de non-retour, alors que rien ne les prédisposait à suivre cette direction. Il prend son temps pour suivre ses personnages, les décrire, les aimer malgré leurs failles, et les accompagner vers l'irrémédiable, laissant leurs deux enfants démunis, définitivement marqués par la destinée tragique de leurs parents. 

"C'est fou jusqu'où va la normalité. On peut ne pas la perdre de vue pendant très longtemps, tel le radeau qui quitte la côte et la voit s'amenuiser. Telle la montgolfière, happée par un courant ascendant au-dessus de la Prairie, d'où l'on voit le paysage s'agrandir, s'aplatir et perdre ses contours. On s'en rend compte ou pas. Mais on est déjà trop loin, tout est perdu. A cause des choix désastreux de nos parents, la "vie normale" me laisse sceptique, en même temps que j'y aspire désespérément. J'ai beaucoup de mal à faire coexister l'idée d'une vie normale avec la fin qui fut la leur." p. 111

En quoi les évènements influencent-ils nos destinées ? Le jeune Dell, enfant ordinaire passionné par les échecs et les abeilles va devoir apprendre à se construire loin de cette normalité, en laissant derrière lui cet évènement terrible qui n'a comme origine "qu'une déviation infime de la vie quotidienne."  Ce petit rien transforme pourtant sa vie. Il échoue au Canada, auprès d'un homme trouble, Arthur Remlinger, auquel il souhaite s'attacher, pour retrouver un point fixe, pour garder l'espoir qu'une vie normale est possible, que le bonheur est encore à portée de mains. Et contre toute attente, sa destinée mystérieuse suivra son cours...

"Ce que je sais, c'est qu'on a plus de chances dans la vie, plus de chances de survivre, quand on tolère bien la perte et le deuil et qu'on réussit à ne pas devenir cynique pour autant ; quand on parvient à hiérarchiser, comme le sous-entend Ruskin, à garder la juste mesure des choses, à assembler des éléments disparates pour les intéger en un tout où le bien ait sa place, même si, avouons-le, le bien ne se laisse pas trouver facilement. On essaie, comme disait ma soeur. On essaie, tous autant que nous sommes. On essaie." p. 476

Nombre de réflexions philosophiques se cachent dans les instestices des phrases et de l'histoire, bien plus grave, intense et enrichissante qu'elle n'y paraît au premier abord. Les faits bruts ne parlent pas, c'est comment l'être se construit, ce qu'il en fait qui crée l'humain. De la même façon que le lecteur construit son roman à l'aune des évènements racontés. En s'interrogeant sur les ressorts de l'être humain, sur son mystère, Richard Ford nous offre avec ce Canada une belle leçon d'humilité " Pratiquer la générosité, savoir durer, savoir accepter, se défausser, laisser le monde venir à soi — de tout ce bois, le feu d'une vie. » 

 

Présentation de l'éditeur : Editions de l'Olivier  ; Points

D'autres avis : Télérama ; France CultureL'express Bibliobs 

BabélioSylireKathelClaire Jeanne 

 

Canada, Richard Ford, Editions de l'Olivier, août 2013, 480 p., 22.50 euros 

Canada, Richard Ford, traduit de l'anglais (EU) par Josée Kamoun,  Points, août 2014, 504 p. 8.5 euros

 

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L'ange de l'oubli de Maja HADERLAP

Publié le par Hélène

♥ ♥

"Je suis fichée dans l'enfance comme un pieu dans une cour où on le secoue tous les jours pour vérifier qu'il supporte bien les secousses." p. 80

Maja Haderlap raconte l'histoire d'une fillette et de sa famille slovène dans les montagnes de Carinthie au lendemain de la seconde guerre mondiale. Chacun porte les stigmates de cette guerre qui a laissé des traces inaltérables : la grand mère a connu les camps de concentration et le père était partisan et est désormais dépressif. Comment se construire dans cet univers construit sur des fondations branlantes? 

"La guerre est un sournois pêcheur d'hommes. Elle a jeté son filet vers les adultes et le retient captifs avec ses débris de mort, son bric-à-brac de mémoire. Une seule petite imprudence, une brève baisse d'attention et elle resserre son filet.  (...) Elle surgit inopinément dans les phrases dites à la va-vite, tapie dans l'obscurité elle attaque." p. 75

L'histoire de ces slolvènes et de leurs rapports difficiles avec l'Autriche durant la seconde guerre mondiale est peu connue, et pour cause, le silence a été fait sur leur histoire. La Carinthie est pourtant un des neuf Lander de l'Autriche actuelle à la frontière de l'Italie et de la Slovénie. C'est une région biculturelle marquée par une double culture allemande et slovène, et un des seuls bastions autrichiens qui a organisé une résistance anti-hitlérienne. Cela s'explique par un conflit de nationalités hérité du XIX ème siècle. Pourtant, l'histoire amenuise et distord l'image des partisans slovènes alors que cette résistance est un élément constitutif de l'identité de ce peuple.  Il existe un "no man's land" entre l'histoire de l'Autriche telle qu'elle est proclamée et l'histoire effective. C'est ce gouffre dont souhaite témoigner l'auteur dans ce roman, à la recherche de sa propre identité :

"L'ange de l'oubli a dû oublier d'effacer de ma mémoire les traces du passé. Il m'a fait traverser une mer où flottaient vestiges et fragments. Il a fait s'entrechoquer mes phrases avec des ruines et des débris charriés par les eaux pour qu'elles se blessent, pour qu'elles s'affûtent. Il a définitivement chassé l'image de l'angelot accrochée au-dessus de mon lit. Je ne le verrai pas, cet ange. Il restera sans forme. Il disparaîtra dans les livres. Il sera un récit." p. 227

L'importance de la mémoire est primordiale pour cette écrivaine qui nous offre ici un témoignage poignant. 

Pourquoi seulement deux coeurs : Si l'enfance de la narratrice est romancée et emporte son lecteur dans cet univers peu connu, par la suite, le récit s'émousse pour devenir témoignage, et l'intensité, l'émotion s'en ressentent.

 

Présentation de l'éditeur : Métailié 

D'autres avis : Page  ; Micmag  ; Initiales  ; Electra ; Cathulu

 

L'ange de l'oubli, Maja Haderlap, traduit de l'allemand par Bernard Banoun, Métailié, août 2015, 240 p., 20 euros

 

Merci à l'éditeur.

Publié dans Littérature Europe

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Les marécages de Joe R. LANSDALE

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥

Dans les années 30 au Texas Harry treize ans et sa famille vivent au bord des marécages et il lui arrive de s'y promener avec sa petite soeur. Ce jour-là il croise non seulement "l'homme chèvre", légende locale qui hanterait les marais, mais plus angoisssant encore, il découvre le cadavre d'une jeune noire baillonnée avec des barbelés. Comme son père est le représentant local de la loi. c'est lui qui s'occupe de cette affaire difficile à résoudre puisque  peu de personnes s'intéressent au meurtre d'une femme de couleur... Le Klan domine toujours et les lynchages sont monnaie courante. Mais quand le cadavre d'une femme blanche est découvert, la communauté s'enflamme ! Se fondant dans le décor, le jeune Harry suit comme son ombre son père qui enquête, et il ne sera plus le même après cette confrontation brutale au racisme ambiant. 

"Entre-temps, j'avais appris que les personnes que je connaissais -ou croyais connaître- avaient des problèmes et des vies particulières. Mes parents avaient un passé. (...) Des gens que je croisais régulièrement s'étaient révélés étranges et féroces." p. 329

Enfant blanc, ami des noirs éduqué dans une famille aux idées ouvertes, il ne comprend pas bien la violence du monde qui l'entoure. Il observe caché derrière l'ombre des adultes. Quand lesdits adultes sont eux-mêmes désarçonnés, c'est lui qui va prendre les rennes de l'enquête avec sa grand-mère. 

L'atmosphère n'est pas sans rappeler celle de "La nuit du chasseur" avec cette ambiance en clair obscur et cette lutte entre le bien et le mal. Les apparences sont trompeuses et ce qui effraie le plus n'est pas le plus dangereux. Le mal est tapi, attendant insidieusement son heure. 

Beaucoup plus sombre que la série des Hap et Lee parce qu'il n'y a pas de soupape de décompression avec l'humour des deux compères, Les marécages résonne longtemps dans l'âme du lecteur.

"Tu vois, Harry, à la façon dont il fonctionne, le monde d'aujourd'hui n'a aucun avenir. Il faut que ça change si on veut que les Américains vivent ensemble dans ce pays. La guerre de Sécession est terminée depuis plus de soixante ans et quelques années, et il y a encore des gens qui en haïssent d'autres parce qu'ils sont nés dans le Nord ou dans le Sud des Etats-Unis..." p. 183

 

Présentation de l'éditeur : Folio

D'autres avis : France Culture ; Dasola 

Vous aimerez aussi : Du même auteur : la série des Hap et Lee dont L'arbre à bouteilles  Le mambo des deux ours Bad chili ; Les mécanos de Vénus

Autre :  Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur de Harper LEE

 

Les marécages, Joe R. Lansdale, traduit de l'américain par Bernard Blanc, Folio Gallimard, mars 2006, 400 p., 9 euros

 

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Terreur apache de William Riley BURNETT

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥

1886 Arizona. Le chef apache Toriano s'enfuit de la Réserve et sème la terreur dans la région. Walter Grein, éclaireur renommé est dépêché par l'armée pour le capturer. Il s'entoure des meilleurs pisteurs qu'il connaît pour partir sur les traces du sanguinaire apache, peuple connu pour être impitoyable :

" Savez-vous ce que veut dire "Apache" ? C'est un mot zuni qui signifie "ennemi". (...) Ennemis de la race humaine et de tout ce qui est humain." p. 188

Mais ces indiens ne sont pas les seuls à donner du fil à retordre à Grein, il se heurte également aux politiques de la région qui tirent les ficelles dans l'ombre sans réellement connaître les réalités du terrain. Face à eux, Grein est un personnage dense, un homme éternellement insatisfait qui court après le danger en autodidacte et hante les grands espaces sauvages. Pour le peindre, l'auteur s'est inspiré du célèbre chef des éclaireurs durant les guerres indiennes Al Sieber, tout comme il a puisé pour Toriano dans le personnage du grand chef de guerre apache Victorio. Ses portraits tout en subtilité refusent les amalgames et ne condamnent pas tous les indiens, juste les Apaches : 

"Autrefois les Pueblos possédaient une forme de civilisation. Ils vivaient en paix avec le monde. Mais ensuite les Navajos et les Apaches - qui étaient alors frères de sang- sont venus tout gâcher. Ils s'en sont pris aux Pueblos et ont anéanti leurs foyers." p. 50

Les espaces sauvages traversés par Grein et ses acolytes sont peu à peu conquis par la civilisation mais malgré tout la nature reste millénaire, laissant sa trace indélébile là où la civilisation s'efface. 

"Devant eux, à l'est, le désert étiré à l'infini s'abaissait lentement, kilomètre après kilomère, jusqu'à un bassin sableux nommé le Piège de la Mort. Il n'y avait pas un souffle d'air, tout n'était que chaleur, silence et lumière cuivrée." p. 238

Les descriptions du désert vibrent avec force de cette atmosphère de danger étouffante, de la fatigue ressentie par ces hommes qui ne peuvent plus rebrousser chemin, condamnés à avancer vers leur destin. "Un sentiment d'inéluctabilité, de fatalité s'impose au fur et à mesure qu'on approfondit, qu'on rentre à l'intérieur de ces personnages, avec les forces qui les motivent" analyse John Huston, grand admirateur de Burnett et de son Terreur apache. Les dialogues sonnent justes, résonnant dans les immensités américaines de ce grand western.  

"Idéalisme et réalité brute sont au coeur des romans de Burnett, ce mélange de grâce épurée et de précision impitoyable, cette vision nette, décapante, qui nous fait regarder le monde autrement." Bertand Tavernier dans sa postface.

 

Présentation de l'éditeur : Actes Sud 

Présentation de la collection "L'ouest le vrai" : Actes sud 

Vous aimerez aussi : Dans la même collection : La captive aux yeux clairs de GUTHRIE

Adaptations

 

 

Terreur apache, W.R. Burnett, roman traduit de l'anglais (EU) par Fabienne Duvigneau, postface de Bertrand Tavernier, Actes Sud Babel, juin 2015, 8.7 euros

 

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La mythologie en BD. Iris et Osiris les enfants du désordre par Viviane Koenig et Clémence Paldacci

Publié le par Hélène

♥ ♥

Présentation de la collection : 

Inspirée par le succès de L’Histoire de France en BD, une nouvelle collection de documentaires historiques se développe, avec un mode de traitement également axé sur la bande dessinée : La Mythologie en BD. Prioritairement tournée vers les élèves de la fin du cycle primaire (8 ­ 10 ans), la collection traite des grands récits de la mythologie, sur un format éprouvé : 48 pages dont 32 planches de bande dessinée, complétées par un dossier documentaire intégrant des éléments à la fois ludiques et informatifs (encadrés chronologiques illustrés, portraits…). Inaugurée avec Les Aventures d’Ulysse, la collection se poursuit donc avec l’histoire d’Isis et Osiris, personnages majeurs de la mythologie égyptienne

Mon avis :

Cette Bande dessinée destinée à la jeunesse permet une belle approche du mythe égyptien d'Isis et Osiris. Osiris règne avec sa soeur Isis sur l'Egypte antique quand leur autre frère Seth réclame le trône. Osiris meurt alors démembré par ce frère cadet avide de pouvoir. Mais Isis réussit à reconstituer son corps et lui insuffle suffisamment de magie pour qu'il renaisse dans l'Au-delà. Pendant ce temps, Isis protège son fils Horus de la folie de Seth, avec succés puisque Horus deviendra souverain de l'Egypte ancienne et le modèle du pharaon idéal. 

La fidélité au mythe est respectée, la lecture est fluide et s'enchaîne rapidement. Toutefois, les dessins assez basiques, et le manque de recherche général de cet album, son "académisme" en font une oeuvre assez banale à mes yeux, loin d'une oeuvre d'art.

Néanmoins, cette Bd a été très appréciée des enfants, qui l'ont lue et relue : 

L'avis de Romain, 9 ans : 

♥ ♥ ♥

J'ai aimé cette BD parce que il y a des méchants et des gentils et c'est intéressant parce que cela nous apprend la myhtologie egyptienne tout en nous amusant. L'histoire est bien j'ai préféré quand Horus est enfant. Les dessins étaient bien. J'ai tout aimé.

L'avis d'Anaïs, 7 ans : 

♥ ♥ ♥ ♥

Cette BD est facile à lire. L'histoire est bien. Mon personnage préféré est Isis. 

 

D'autres ouvrages jeunesse sur la mythologie : Les enfants à la page ; 20 minutes

Présentation de l'éditeur : Casterman 

Vous aimerez aussi : L'exposition sur Osiris à L'institut du monde arabe :

 

Merci à l'éditeur.

C'est ma BD de la semaine, aujourd'hui chez Stephie

Publié dans Jeunesse BD

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Bleu de travail de Thomas VINAU

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥ ♥

"J'écris à l'encre noire les jours de rien. Les petits matins purpurins. Les soirs sans fin. Smicard de l'aube et des pluies fines."

 

Avec délicatesse et poésie Thomas Vinau chante "la petite fumée de nos vies". Il cherche le mot juste pour dire la solitude des matins gris, la lassitude des jours qui se ressemblent, puis, comme un éclair, la beauté d'un instant suspendu. 

"Et les petits jours blancs dans le crachin de rien. La mousse sur les pierres. Les murs qui pourrissent. Les volets de bois mort qui ne cessent de mourir. Les pigeons gorgés de brouillard qui traversent un ciel sans question. Et les petits jours blancs dans le crachin de rien. Les matins mal coiffés. Le désordre des petites lumières. La belle vie dans des chaussettes mouillées." (Les matins mal coiffés)

 

"Manger nos bravoures sans éclats. Nos petits pains. Nos petits matins. Mordre dans l'eau froide du temps qui passe. Laper l'onde glacée. Ca fait mal aux dents. C'est bon. Le vent souffle. On marche sur les trottoirs. On regarde par la fenêtre. On essaie. On veut bien. On s'étire. On s'écoute. On tient droit. En se tenant la main." (Nos petits pains)

 

Sa poésie embellit la réalité par ses images : "Un wagon de lucioles s'est arrêté dans le jardin pour grignoter le crépuscule. (...) J'aurais dû dire : chaque soir avec toi est une luciole qui grignote le crépuscule." 

 

Ses poèmes en prose sont à la fois mélancoliques et lumineux, constituant ainsi un recueil matûre et abouti. Une merveille !

 

"On tourne en rond. Il faudrait vider les greniers avec de grands balais qui remuent la poussière. Il faudrait rouler avec les vitres ouvertes dans le champ de luzerne. Cueillir les asperges sauvages. Planter son nez là où ça sent. Boire du vin au bord de la rivière. Prendre ce qui passe. Il faudrait se salir. Tous ensemble. Sans projet. Comme avant." (Se salir)

 

"Rien n'est promis à part la nuit. Mais la lumière a mille peaux. Je viens de voir à l'instant un lapin qui joue du piano. Alors." (Rien n'est promis à part la nuit)

 

D'autres avis : AIfelle ; Leiloona

Du même auteur :   Nos cheveux blanchiront avec nos yeux  ; Ici ça va  ; Bric à brac hopperien   ; Juste après la pluie  ; La part des nuages

Vous aimerez aussi : Le site de l'auteur 

 

Bleu de travail, Thomas Vinau, La fosse aux ours, 2015, 13 euros

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Que ma joie demeure de Jean GIONO

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥ ♥

"Une seule étoile, dit Bobi.

- Où ?

Un petit point rouge, clignotant sur l'horizon, du côté du nord.

"Non, dit Jourdan, ça doit être une lampe dans la montagne.

- On pourrait s'y diriger dessus.

- A quoi ça servirait ? dit Jourdan.

(...)

"Ca servirait à aller vers une étoile qui est une lampe dans la montagne, dit Bobi. Pas plus." 

Sur le plateau provençal de Grémone Jourdan laboure son champ en pleine nuit, mû pour il ne sait quel instinct. Il sent que quelqu'un va venir et changer sa vie, chasser l'ennui. Et quelqu'un vient : Bobi, acrobate poète qui lui demande du tabac. Bobi va changer la vie des habitants du plateau en réveillant leur appétit de vivre. Désormais Jourdan refuse de faire du "travail triste" , il veut de la joie, parce que les hommes ont besoin de cette joie. Ainsi il décide de planter un champ de narcisses pour égayer le plateau et de prendre un cerf : 

"Aujourd'hui le cerf, c'était goûter le goût de l'hiver, de la forêt nue, des nuages bas, marcher dans la boue, entendre les buissons qui griffaient sa veste de velours , avoir froid au nez, chaud dans la bouche; Il se sentait libre et agréablement seul." p. 339

@france3 

De petits gestes aux grands rassemblements, les hommes apprennent le bonheur de l'inutile, ils reprennent leur juste place dans le grand ordonnancement de la terre, accordés aux rythmes des saisons et de la nature, dans une sorte de panthéisme cosmique : 

"Toujours, toujours, sans arrêt, parce que le sang ne s'arrête pas de battre, et de fouler, et de galoper, et de demander avec son tambour noir d'entrer en danse. Et il appelle, et on n'ose pas. Et il appelle, et on ne sait pas s'il faut... Et on a dans tout son corps des désirs, et on souffre. On en sait pas et on sait. Oui, vaguement on se rend compte que ce serait bien, que la terre serait belle, que ce serait le paradis, le bonheur pour tous et la joie. Se laisser faire par son sang, se laisser battre, fouler, se laisser emporter par le galop de son propre sang jusque dans l'infinie prairie du ciel lisse comme un sable." p. 189

Ils se font présents à eux-mêmes et au monde grâce à Bobi, figure christique pourvoyeur d'espérance, de solidarité, d'amour... 

Et pourtant, l'inquiétude continue de les ronger : 

"L'inquiétude. Toujours attendre. Toujours vouloir, avoir peur de ce qu'on a, vouloir ce qu'on n'a pas. L'avoir, et puis tout de suite avoir peur que ça parte. Et puis, savoir que ça va partir d'entre nos mains, et pus ça part d'entre nos mains. J'allais dire : " comme un oiseau qui s'échappe" non, comme quand on serre une poignée de sable, voilà. Ca, je crois que c'est obligé, qu'on l'a en naissant, comme les grenouilles qui en naissant ont une coeur trois fois gros que la tête." p. 254

La joie n'est-elle pas une utopie éphémère qui file entre les doigts de celui qui cherche à la retenir ? 

"Pourtant, des fois, le soir, seul au bord des routes, assis à côté de mon petit sac, en regardant venir la nuit, regardant s'en aller le petit vent dans la poussière sentant l'herbe, écoutant le bruit des forêts, j'avais parfois presque le temps de voir mon bonheur. C'était comme le saut de la puce : elle est là, elle est partie, mais j'étais heureux et libre." p. 265

Si la joie ne dure pas, elle est pourtant là, tout près, palpable dans des instants fulgurants qui transcendent l'être humain. 

"Il faudrait que la joie soit paisible. Il faudrait que la joie soit une chose habituelle et tout à fait paisible, et tranquille, et non pas batailleuse et passionnée. Car moi je ne dis pas que c'est de la joie quand on rit ou quand on chante, ou même quand le plaisir qu'on a vous dépasse le corps. Je dis qu'on est dans la joie quand tous les gestes habituels sont des gestes de joie, quand c'est une joie de travailler pour sa nourriture. Quand on est dans une nature qu'on apprécie et qu'on aime, quand chaque jour, à tous les moments, à toutes les minutes tout est facile et paisible. Quand tout ce qu'on désire est là." p. 427

Dans ce texte sensuel Giono revisite notre façon de voir le monde. Il propose une autre façon de travailler sans accumuler l'argent ou le pouvoir, en le partageant plutôt pour embellir l'environnement et les conditions de travail. La mise en commun presque communiste des champs permet d'évoluer. En changeant l'homme il sera possible de changer la société qui le régit et de rétablir un rappport harmonieux avec la nature même si cette entreprise utopique se heurte à l'égoïsme des hommes et au plaisir charnel. La liberté créatrice doit éclater. 

"Ce n'est pas vrai. S'il n'y avait pas de joie, il n'y aurait pas de monde. Ce n'est pas vrai qu'il n'y a pas de joie. Quand on dit qu'il n'y a pas de joie, on perd confiance. Il ne faut pas perdre confiance. Il faut se souvenir que la confiance c'est déjà de la joie. L'espérance que ça sera tout à l'heure, l'espérance que ça sera demain, que ça va arriver, que c'est là, que ça attend, que ça se gonfle, qua ça va crever tout d'un coup, que ça va couler dans notre bouche, que ça va nous faire boire, qu'on n'aura plus soif, qu'on n'aura plus mal, qu'on va aimer." p. 494

 

Présentation de l'éditeur : Livre de poche  ;  Grasset 

D'autres avis : Dominique 

 

Que ma joie demeure, Jean Giono, Le livre de poche, 1974, 6.60 euros

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Le paradis des animaux de David James POISSANT

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥

Les personnages qui hantent ces nouvelles sont tous à un tournant de leur vie, tous chancelants, risquant à tous moments de basculer vers une décision marquante. Qu'ils soient au bord du suicide dans "100% coton", vraiment bordelines dans "La fin d'Aaron", Aaron prédisant la fin du monde, au bord de l'implosion dans "les derniers des mammifères terrestres", au bord de la rupture dans "Remboursement", tous hésitent face à la complexité du monde qui les entoure et surtout face aux difficultés créées par les relations humaines. Il est si simple de baisser les bras devant l'incompréhension que représente l'autre ! C'est ce qu'a fait le narrateur de  en reniant son fils homosexuel, c'est ce qu'envisage de faire le narrateur de "Remboursement" quand il comprend que sa femme et lui sont diamétralement opposés face à leur fils surdoué, c'est aussi la solution envisagée par les parents de "La géométrie du désespoir" après la mort subite de leur bébé. Et pourtant, au moment où tout semblait sombrer dans une noirceur pessimiste, l'espoir renaît et les êtres se relèvent, plus forts d'avoir vacillés. SI la mort et le désamour rôdent, la rédemption et le pardon sont toujours possibles : après un road movie concluant, le père retournera vers son fils homosexuel dans la suite de "L'homme lézard", "Le paradis des animaux". 

Quand ces nouvelles pourraient être glauques, noires, déprimantes au vu des thèmes abordés, elles sont simplement puissantes. Les situations décalées rafraîchissent des univers trop réalistes :  dans "L'homme lézard" Crystal et le narrateur transportent un alligator dans le coffre, Arnie quant à lui se retrouve face à un bison dans "les derniers des mammifères terrestres" et le narrateur de "Ce que veut le loup" face à un loup qui réclame de surcroît ses mocassins !

La parfaite maîtrise de cet exercice difficile de la nouvelle alliant concision et précision dans l'écriture en font des nouvelles percutantes qui font toutes mouche ! 

 

Présentation de l'éditeur : Albin Michel 

D'autres avis : Caroline ; Augustin Trapenard  ; Valérie ; Cathulu 

Interview chez Lecturama 

 

Le paradis des animaux, David James Poissant, traduit de l'anglais (EU) par Michel Lederer, Albin Michel, terres d'Amérique, mai 2015, 352 p., 25 euros

 

Merci à l'éditeur.

 

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Home de Toni MORRISON

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥ ♥

 Le jeune soldat Franc Money rentre "at home", aux Etats-Unis après avoir participé à la guerre de Corée. Profondément marqué par cette expérience, il peine à retrouver ses marques. Un appel au secours de sa soeur le pousse sur les routes. 

"Home" : ce titre court, direct, sans fioritures inutiles place dés les premières lignes ce roman sous le signe de la sobriété. Il agit comme un mantra, une vibration primordiale qui résonne en chaque être.  Franck veut retrouver sa soeur et rentrer chez lui, pour laisser derrière lui des souvenirs insoutenables qu'ils transforment pour ne pas avoir à les affronter. Sa jeune soeur travaille pour un médecin, et accepte des pratiques douteuses peut-être parce qu'elle a l'impression d'avoir trouvé une maison, un foyer au sein de cette maison pourtant démoniaque. Chacun cherche un endroit où se réfugier, une communauté dans laquelle se reconnaître au sein d'une époque violemment marquée par la ségrégation raciale.

Toni Morrison nous offre ici un précipité de sujets graves et essentiels : la ségrégation raciale, les traumatismes liés à la guerre, la violence de l'enfance et ses marques indélébiles... Des thèmes chers à l'auteur et traité ici au plus près, de façon très serrée. 

Cette concision menant au coeur des sujets est magistrale et insiste sur le talent sans commune mesure de Toni Morrison qui signe ici son dixième roman.

Home est aussi un roman sur la rédemption, sur les liens qui se tissent entre les êtres et qui les tiennent debout malgré l'adversité, malgré les différences de culture ou de peau, coûte que coûte, parce que dans ces rapports palpite le pouls de notre humanité.

  "Tu vois ce que je veux dire ? ne compte que sur toi-même. Tu es libre. rien ni personne n'est obligé de te secourir à part toi. Sème dans ton propre jardin. Tu es jeune, tu es une femme, ce qui implique de sérieuses restrictions dans les deux cas, mais tu es aussi une personne. Ne laisse pas Lenore ni un petit ami insignifiant, et sûrement pas un médecin démoniaque, décider qui tu es. C'est ça, l'esclavage. Quelque part au fond de toi, il ya cette personne libre dont je parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde." (p. 133) 

 Un roman pur inoubliable...

 

Présentation de l'éditeur :  10-18 

D'autres avis :  Presse : Le Figaro ; L’Express; Télérama ; Les Inrocks ; Bibliobs Blogs : Dasola   ; Choco ;Jérôme

 

Home, Toni Morrison, traduit de l’anglais (EU) par Christine Laferrière, Christian Bourgois Editeur, août 2012, 151 p.,  17 euros 

 

Lu en 2012, réédité dans le cadre du Blogoclub.

Ma première participation pour le :

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