Marina Bellezza de Silvia AVALLONE
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"Devenir adulte, c'est gérer le désir et la violence."
Ce que j'ai aimé :
Au coeur de la vallée de Biella, les villages sont abandonnés, les volets fermés, les enseignes éteintes.
"C'était un spectacle amer, celui du temps qui se retirait et fissurait les villages, les rues. Restait le travail incessant des ronces, et celui, implacable, du torrent. L'obstination des arbres à résister et se régénérer."
La crise est passée par là, laissant les jeunes nés dans ce cocon désoeuvrés. Certains sont partis, comme Ermanno, d'autres sont restés, comme Luca, Sebastiano et Andrea.
La première scéne du roman illustre parfaitement cette hésitation entre un départ vers un ailleurs peut-être plus glorieux - choix incarné par Marina - et la décision de rester implanté dans sa terre comme Andrea. Lors de cette scène, les garçons hésitent à sortir en ville puis finalement se dirigent vers la montagne, vers une lueur scintillant au loin, "voilée par l'humidité de la nuit". D'emblée l'écart entre Andrea et Marina est posé. Car Marina aimerait partir, attirée par les lumières de la ville et de la célébrité, tel un papillon qui court vers les flashs. Chanteuse de talent, son ascension promet d'être fulgurante. Mais cette célébrité rendra-t-elle son père plus présent ? Sa mère moins attachée à l'alcool ? Andrea ferait plutôt partie de ces jeunes qui reviennent depuis quelques années peupler la vallée, occupant les vieilles demeures délabrées que leurs parents ont abandonnées dans les années 60. Bradées, ces maisons constituent pour ces jeunes sans travail ni demeure un dernier recours. Certains réhabilitent même le métier le plus ancien de ces vallées, celui des ancêtres, des paysans. accord des hommes et de la montagne, hommage à cette vallée.
"Une sorte de miracle. Une des raisons pour laquelle on choisit ce genre de vie. Le vrai gain, c'est voir les clients revenir parce que votre beurre, votre tomme, les produits que vous avez fabriqués de vos mains sont meilleurs que les autres ; attendre la naissance d'un veau ; apprendre à lire dans l'étendue du ciel même les signes les plus imperceptibles des saisons, et accorder le rythme de son corps à celui de la terre, sa liberté à la sienne."
La relation entre les deux jeunes gens, irrésistiblement attirés l'un vers l'autre promet d'être compliquée...
"Devenir adulte, c'est savoir distinguer la réalité du désir, se dit Andrea ; savoir renoncer, s'il le faut, au désir. Savoir le nommer, lui donner une autre dimension."
Dans un style aussi foudroyant que ses personnages, Marina Bellezza chante l'amour de sa vallée, le paradis perdu, mais qui peut être reconquis à force de persévérance et d'amour.
"Une journée sans rien d'extraordinaire, où tes parents ont l'air heureux, et l'endroit où tu es née est baigné de lumière, l'air a quelque chose de sauvage, de ferreux, chaque chose est exactement à sa place. Et qu'importe ce qui arrivera ensuite, ou ce qui est déjà arrivé. Qu'importent les souffrances, la fatigue, les trahisons qu'il faudra endurer. Ca vaut la peine, malgré tout. Pour cette seule perfection d'une journée, à quatre ans avec ta famille au bord de la Balma, ça vaut la peine."
Dans le passé, dans les moments forts de l'existence, dans ses racines, chacun puise la force pour construire l'avenir et aller de l'avant.
Ce que j'ai moins aimé :
Quelques clichés, centrée autour du personnage de Marina "Elle était un apparition, elle le savait. Elle aimait exercer son pouvoir, laisser bouche bée des hordes entières de pères de famille, passer à côté d'eux avec un demi-sourire et se venger ainsi sur de parfaits inconnus de sa frustration de n'avoir jamais réussi à attirer l'attention de son propre père."
Les prolepses, fuite en avant du narrateur qui nous prévient avant l'heure qu'un danger guettant les protagonistes, sont lassantes.
"Ils creusaient eux-mêmes leur fosse. Entraient d'un pas décidé dans la tanière du loup."
Il n'en reste pas moins un vrai plaisir de lecture
Premières phrases :
"Une clarté diffuse brillait quelque part au milieu des bois, à une dizaine de kilomètres de la départementale 100 encastrée entre deux colossales montagnes noires. Seul signe qu'une forme de vie habitait encore cette vallée, à la frontière nue et oubliée de la province."
Présentation de l'éditeur :
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D'autres avis :
Clara ;
Marina Bellezza, Silvia Avallone, traduit de l'italien par Françoise Brun, Liana Levi, août 2014, 544 p., 23 euros
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