Que ma joie demeure de Jean GIONO

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥ ♥

"Une seule étoile, dit Bobi.

- Où ?

Un petit point rouge, clignotant sur l'horizon, du côté du nord.

"Non, dit Jourdan, ça doit être une lampe dans la montagne.

- On pourrait s'y diriger dessus.

- A quoi ça servirait ? dit Jourdan.

(...)

"Ca servirait à aller vers une étoile qui est une lampe dans la montagne, dit Bobi. Pas plus." 

Sur le plateau provençal de Grémone Jourdan laboure son champ en pleine nuit, mû pour il ne sait quel instinct. Il sent que quelqu'un va venir et changer sa vie, chasser l'ennui. Et quelqu'un vient : Bobi, acrobate poète qui lui demande du tabac. Bobi va changer la vie des habitants du plateau en réveillant leur appétit de vivre. Désormais Jourdan refuse de faire du "travail triste" , il veut de la joie, parce que les hommes ont besoin de cette joie. Ainsi il décide de planter un champ de narcisses pour égayer le plateau et de prendre un cerf : 

"Aujourd'hui le cerf, c'était goûter le goût de l'hiver, de la forêt nue, des nuages bas, marcher dans la boue, entendre les buissons qui griffaient sa veste de velours , avoir froid au nez, chaud dans la bouche; Il se sentait libre et agréablement seul." p. 339

@france3 

De petits gestes aux grands rassemblements, les hommes apprennent le bonheur de l'inutile, ils reprennent leur juste place dans le grand ordonnancement de la terre, accordés aux rythmes des saisons et de la nature, dans une sorte de panthéisme cosmique : 

"Toujours, toujours, sans arrêt, parce que le sang ne s'arrête pas de battre, et de fouler, et de galoper, et de demander avec son tambour noir d'entrer en danse. Et il appelle, et on n'ose pas. Et il appelle, et on ne sait pas s'il faut... Et on a dans tout son corps des désirs, et on souffre. On en sait pas et on sait. Oui, vaguement on se rend compte que ce serait bien, que la terre serait belle, que ce serait le paradis, le bonheur pour tous et la joie. Se laisser faire par son sang, se laisser battre, fouler, se laisser emporter par le galop de son propre sang jusque dans l'infinie prairie du ciel lisse comme un sable." p. 189

Ils se font présents à eux-mêmes et au monde grâce à Bobi, figure christique pourvoyeur d'espérance, de solidarité, d'amour... 

Et pourtant, l'inquiétude continue de les ronger : 

"L'inquiétude. Toujours attendre. Toujours vouloir, avoir peur de ce qu'on a, vouloir ce qu'on n'a pas. L'avoir, et puis tout de suite avoir peur que ça parte. Et puis, savoir que ça va partir d'entre nos mains, et pus ça part d'entre nos mains. J'allais dire : " comme un oiseau qui s'échappe" non, comme quand on serre une poignée de sable, voilà. Ca, je crois que c'est obligé, qu'on l'a en naissant, comme les grenouilles qui en naissant ont une coeur trois fois gros que la tête." p. 254

La joie n'est-elle pas une utopie éphémère qui file entre les doigts de celui qui cherche à la retenir ? 

"Pourtant, des fois, le soir, seul au bord des routes, assis à côté de mon petit sac, en regardant venir la nuit, regardant s'en aller le petit vent dans la poussière sentant l'herbe, écoutant le bruit des forêts, j'avais parfois presque le temps de voir mon bonheur. C'était comme le saut de la puce : elle est là, elle est partie, mais j'étais heureux et libre." p. 265

Si la joie ne dure pas, elle est pourtant là, tout près, palpable dans des instants fulgurants qui transcendent l'être humain. 

"Il faudrait que la joie soit paisible. Il faudrait que la joie soit une chose habituelle et tout à fait paisible, et tranquille, et non pas batailleuse et passionnée. Car moi je ne dis pas que c'est de la joie quand on rit ou quand on chante, ou même quand le plaisir qu'on a vous dépasse le corps. Je dis qu'on est dans la joie quand tous les gestes habituels sont des gestes de joie, quand c'est une joie de travailler pour sa nourriture. Quand on est dans une nature qu'on apprécie et qu'on aime, quand chaque jour, à tous les moments, à toutes les minutes tout est facile et paisible. Quand tout ce qu'on désire est là." p. 427

Dans ce texte sensuel Giono revisite notre façon de voir le monde. Il propose une autre façon de travailler sans accumuler l'argent ou le pouvoir, en le partageant plutôt pour embellir l'environnement et les conditions de travail. La mise en commun presque communiste des champs permet d'évoluer. En changeant l'homme il sera possible de changer la société qui le régit et de rétablir un rappport harmonieux avec la nature même si cette entreprise utopique se heurte à l'égoïsme des hommes et au plaisir charnel. La liberté créatrice doit éclater. 

"Ce n'est pas vrai. S'il n'y avait pas de joie, il n'y aurait pas de monde. Ce n'est pas vrai qu'il n'y a pas de joie. Quand on dit qu'il n'y a pas de joie, on perd confiance. Il ne faut pas perdre confiance. Il faut se souvenir que la confiance c'est déjà de la joie. L'espérance que ça sera tout à l'heure, l'espérance que ça sera demain, que ça va arriver, que c'est là, que ça attend, que ça se gonfle, qua ça va crever tout d'un coup, que ça va couler dans notre bouche, que ça va nous faire boire, qu'on n'aura plus soif, qu'on n'aura plus mal, qu'on va aimer." p. 494

 

Présentation de l'éditeur : Livre de poche  ;  Grasset 

D'autres avis : Dominique 

 

Que ma joie demeure, Jean Giono, Le livre de poche, 1974, 6.60 euros

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M
Giono est un de mes auteurs fétiches ! J'ai une bonne partie de ses livres à la maison, offerts par mes proches. C'est un auteur qui me rapproche de mes racines car ce qu'il décrit de la vie en Provence est très proche de ce que mes grands-parents me racontaient du monde rural provençal. Mais son œuvre et son engagement vont au-delà. <br /> Dans "Que ma joie demeure" et dans d'autres œuvres, il s'engage et défend ouvertement le monde rural, avec beaucoup de poésie et de force, face à la suprématie du monde "moderne" industrialisée qui d'après lui détruira l'homme en le changeant en profondeur...<br /> A méditer !
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H
Je crois que c'est le seul roman que j'au lu de lui mais je vais continuer sur ma lancée !
K
Celui là, je veux le lire depuis... ouh longtemps...
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H
il n'est pas trop tard ;-)
L
Un classique que j'ajoute à ma wish list ^^
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H
Un incontournable !
D
j'ai énormément aimé ce livre que je n'ai lu que sur le tard mais quel bonheur ! merci pour ton lien
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H
Je l'ai lu à 20 ans, j'en gardais un souvenir puissant, j'avais peur que mon souvenir ne survive pas à ma relecture, mais ce ne fut pas le cas à mon grand bonheur !