Heureux les heureux de Yasmina REZA
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Les heureux du titre, vous ne les trouverez guère dans ces pages relativement déprimantes. Comme si ils étaient une espèce rare, en voie de disparition, surtout quand les hommes et les femmes s'échinent à nouer des relations à deux. Quelle erreur ! Les nouvelles de Yasmina Reza mettent en scène des couples au sein desquels sont reines les mesquineries, les petites phrases assassines, les perversités immondes, une désharmonie qui semble rédhibitoire. Quand l'une de ses narratrices affirme : "Les couples me dégoûtent. Leur hypocrisie. Leur suffisance." p.107 cela sonne comme une revendication de l'auteure elle-même qui martèle "Je ne me suis jamais fait beaucoup d'illusions sur le couple. Je crois que littérairement je tape dessus depuis le début. Je me méfie du mot "amour". C'est un mot difficile à manier." (Interview Jéröme Garcin pour le Nouvelobs)
Alors bien sûr, certaines phrases sonnent juste, et l'analyse reste intelligente :
"Deux êtres vivent côte à côte et leur imagination les éloigne chaque jour de façon de plus en plus définitive. Les femmes se construisent, à l'intérieur d'elles-mêmes, des palais enchantés. Vosu y êtes momifié quelque part mais vous n'en savez rien. Aucune licence, aucun manque de scrupules, aucune cruauté ne sont tenus pour réels. A l'heure de l'éternité, il nous faudra raconter une histoire de jouvenceaux. Tout est malentendu, et torpeur." p. 66
Mais il manque une transcendance, un espoir, une folie, une passion salvatrice, une bonté qui sauverait les écrits et le monde. Ces nouvelles alignent une suite d'égoïsmes sans fin, le couple n'étant pas la seule victime de la plume acerbe de l'écrivain, les personnalités des personnages sont souvent aigries, désabusées, foncièrement mauvaises, frustrées ! Quelle vision de l'humanité ! Des êtres malheureux qui répandent le malheur autour d'eux...
"Etre heureux, c'est une disposition. Tu ne peux pas être heureux en amour si tu n'as pas une disposition à être heureux." p. 132
Laissons le Perdican de Musset répondre à cette Camille moderne :
"Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueuilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n'est qu'un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompés en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on se dit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois ; mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueuil et mon ennui."
Présentation de l'éditeur : Folio
D'autres avis : Télérama ; Bibliobs ; Le Figaro ;
Des avis tout aussi contrastés sur Babelio
Heureux les heureux, Yasmina Reza, Folio, août 2014, 192 p., 7.10 euros