Festival Paris en toutes lettres 2016 - Rencontre avec Sylvain Tesson
Vendredi dernier dans le cadre du Festival Paris en toutes Lettres, la maison de la poésie organisait une rencontre avec Sylvain Tesson.
Pourquoi la marche ?
Après ma chute, j'ai passé plusieurs mois à l'hôpital, enfermé. A ma sortie, j'ai eu la possibilité de faire ce que j'aimais, marcher au grand air. C'était une issue pour moi, une lumière au bout du couloir. Cela me permettait d'accomplir une forme de rééducation et aussi de sortir de ma déprime.
Pourquoi la France ?
Souvent nous négligeons ce qu'on possède, qu'il s'agisse des lieux ou des êtres. Je vivais en France mais je ne connaissais pas mon pays. L'exotisme est comme la maladie infantile de la géographie. On demande à la distance de nous apporter ce que la vie ne sait pas nous apporter...
La deuxième raison est que je ne pouvais pas aller trop loin, j'avais besoin d'une marche douce, une aventure dans les limites du raisonnable. Avant j'étais un ado attardé sans l'acné un peu fou dans ses aventures.
Je voulais aller vers la mer pour finir mon parcours au bord d'une falaise. Je me sens bien au bord des falaises, devant cette géographie qui impose la nécessité de s'arrêter.
Vous avez fait des études de géographie ?
Oui, je suis un être superficiel qui aime ce qui se déploie, ce qui s'étend et ce qu'on peut observer sur un plan euclidien.
Que sont les chemins noirs ?
Les chemins noirs sont les chemins les plus fins possibles sur la carte. Sur le sol ce sont des broussailles, des sentiers oubliés, des issues de secours. Et puis j'ai joué avec une analogie vague : les chemins noirs sont aussi les chemins intérieurs, les lignes de traverse qu'on suit dans son existence, nos replis, nos silences, dans une volonté de s'abstraire du brouhaha.
René Frémi a écrit en 1964 "Les chemins noirs ", l'histoire d'un conscrit qui s'évade. Je ne pouvais pas utiliser le même titre, j'ai donc rajouté la préposition car je tenais à ce titre.
Dans votre roman vous parlez aussi de l'exode rural ?
L'exode rural a provoqué la disparition de tout un peuple, les ronces ont repoussé. La disparition des paysans est quelque chose qui existe vraiment. Comme l'enlaidissement du territoire dû au phénomène de décentralisation, d'industrialisation, de politique agricole commune, de périurbanisation, de reliement par les routes, de rocades, ronds points... Ce n'est pas un délire de vieux barbon, c'est une constatation de ce qu'il s'est passé. Alors oui de nouveaux paysans reviennent, à petite échelle mais pour l'instant c'est anecdotique.
Vous souhaitiez échapper aux écrans ? Sortir des radars ?
J'apprécie le terme de "dispositif", d'appareillage employé par Foucault, qui désigne le gouvernement qui règne sur une collectivité sous une forme intangible, impalpable. Le philosophe Agamben s'en sert en ajoutant une nouvelle donnée, il injecte la révolution numérique, les nouvelles technologies censées être à notre service mais qui sont en réalité nos maîtres. La technologie est un instrument dont on devient esclave. Je veux échapper à l'impératif de se soumettre à la nécessité de communiquer, de s'exhiber tout le temps, de réagir sur tout, tout le temps, c'est ce que j'appelle le brouhaha du monde.
La diagonale est un chemin noir, une vie hors des voies, une échappée du dispositif.
Dans Berezina vous employez aussi le terme de "escapisme".
Il s'agit d'un comportement stratégique tactique et existentiel devant une situation qui consiste à fuir, à prendre la tangente. Il s'agit d'un principe de vie, dès qu'un obstacle ou une bifurcation se présente, il faut prendre la troisième voie : le demi tour. Comme les herbivores qui fuient pour survivre.
Mon retrait au bord du lac Baïkal était un retrait du monde dans une forme immobile. Les chemins noirs sont un retrait en mouvement. J'aime la recommandation d'Epicure qui incite à dissimuler sa vie -ce qu'il n' a pas réussi et a bien raté d'ailleurs vu sa notoriété à travers les âges ! Dans ma vie je ressens toujours cette oscillation entre nomadisme et sédentarité, Kerouac et Xénophon, la Sibérie et l'Indre et Loire.
© / Pierre chamboultout
Pourquoi la première fuite ?
La première fois je suis parti faire le tour du monde à bicyclette avec Alexandre Poussin . Pour nous, c'était ordinaire, à 20 ans c'est une banalité de vouloir partir, cela tient d'une force vitale.
Quant à trouver une explication psychanalytique à mon envie de m'échapper, je n'y crois pas. On ne trouve pas toujours tout dans les mystères de l'enfance, je ne crois pas que tout ce qu'on devient est contenu dans l'enfance. Il s'agit davantage d'occasions, de signes présents sur le bord de la route.
L'écriture était-elle liée au voyage dés le départ ?
Lors du premier voyage j'ai écrit par hasard : un éditeur m'a proposé d'écrire le récit du voyage, le livre a connu un beau succès, du coup j'ai écrit un deuxième livre puis c'est devenu une discipline puis un besoin puis un dédoublement de la vie. L'écriture représente la possibilité de vivre une deuxième fois la journée. D'ailleurs je tiens depuis longtemps un journal intime dans lequel j'archive ma vie, ses faits, tous les jours. Et pour moi la fin du voyage n'arrive réellement qu'après la fin du travail d'écriture, quand je pose le point final.
Etes-vous tenté par une oeuvre d'imagination ?
Je n'écris que ce que je vis, je ne suis pas un écrivain de l'imagination. Je suis un laborieux, je ne suis pas comme ces écrivains qui se laissent emporter par leurs personnages, moi si je crée des personnages ils s'endorment sur le canapé ! Non, je ne serai jamais un écrivain de l'imagination. Je suis doté d'un bon outillage sensoriel pour observer le monde et je m'en contente, et puis la vie est suffisamment surprenante en elle-même sans que l'on cherche à en rajouter.
Pourquoi toutes ces citations dans vos livres ?
Je suis encombré par la référence, c'est une maladie européenne de mettre entre soi et ce que l'on voit l'écran de la référence. Je voulais cette fois-ci faire exclusivement usage de mes sens, or cela a duré 30 secondes et j'ai vite réutilisé le nuage de fumée des références.
Vous avez été rejoint par des amis durant la route.
J'aime l'idée d'une bandes d'amis qui voyage, je ne suis pas misanthrope. Par contre, deux jours me semble un bon intervalle de commerce avec mes semblables. J'aime l'image de la cordée d'escalade : 50 mètres nous séparent, de temps en temps on se rejoint quelques secondes pour échanger quelques mots cela me semble vivable avec un ami.
Et le corps ?
Il repousse... Avant j'étais en bonne santé mais je buvais tellement... Quand je suis arrivé dans le Cotentin, j'ai eu l'impression d'être debout, que la sève avait été ré-insufflée en moi. J'ai jeté au-dessus de la falaise le mauvais sort que j'avais vécu.