Alice Zeniter et le Goncourt des Lycéens
Comment avez-vous vécu les rencontres avec les lycéens ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?
J'ai vécu la série de rencontres tout d'abord comme une série de voyages en compagnie des autres auteurs et donc comme une sorte de colonie de vacances un peu étrange. Il y naît le même genre d'amitiés instantanées, que seule permet la fréquentation quotidienne, et je suis très heureuse d'avoir pu rencontrer certains d'entre eux dans ces conditions. Les salons ne nous auraient pas permis de telles discussions.
Quant aux rencontres avec les lycéens, ce qui est passionnant sur un tel format, c'est que l'on peut non seulement considérer les questions une par une mais aussi leur récurrence d'une rencontre à l'autre. On voit à la fois se dessiner des lecteurs très différents et des motifs de lecture qui pourtant se répètent. Par ailleurs, je n'ai pas pour ma part trouvé que les questions différaient tant de celles posées en librairie. Et je me suis rappelée que lorsque j'étais au lycée, je me pensais déjà comme une adulte, et qu'il n'y avait pas de raison que les lycéens nous posent donc des questions d'enfants.
Qu’avez-vous pensé de leurs questions ? Y a-t-il eu des questions surprenantes ? Lesquelles ?
Je pense qu'elles sont très encadrées par les professeurs, la plupart du temps. Pour cette raison, mes questions préférées ont été les questions surprenantes. Je pense notamment au fait que d'un jour à l'autre, j'ai eu deux questions opposées sur mon style. L'une posée à Lille et qui décrivait mon écriture comme « élégante et brutale », l'autre à Toulouse qui en faisait un processus « déroutant, long et trop compliqué ». On m'a aussi demandé à Marseille si mon livre était « une incitation à aimer la France », ce qui – passé l'étouffement instantané provoqué par une telle question – m'a amené à réfléchir à voix haute à l'arbitraire des naissances, au fait que l'injonction « la France, tu l'aimes ou tu la quittes » ne s'adressait qu'à une certaine partie de la population, et à l'étrangeté d'entendre le pouvoir exécutif parler le langage de l'amour… J'y pense encore.
Toujours à Toulouse, un groupe de lycéens m'a parlé d'un passage au tout début du livre : il s'agit en fait d'une seule ligne qui décrit la mort du père d'Ali « Il chute dans les rochers en poursuivant une chèvre fugueuse ». Les garçons trouvaient ça hilarant et m'ont mimé l'esquive de la chèvre au bord du rocher. Ils ont réussi à me persuader qu'il s'agit d'un passage hautement comique.
Quelle lycéenne étiez-vous ? Lisiez-vous ? Quels auteurs ?
J'étais très attirée par le mouvement hippie des années 60. Je cousais mes vêtements. Je parlais de vivre en autarcie avec mes copains dans une ferme ardéchoise. J'avais l'impression qu'une manifestation de quelques centaines de personnes pouvait changer le monde. Et je lisais beaucoup, oui. Tolkien, Vian, Zola, Bradbury, Hugo (mon père était un grand lecteur de science-fiction et ma mère de romans naturalistes – ma bibliothèque était alors constituée principalement des livres que je leur chipais).
Auriez-vous aimé, adolescente, participer à ce type de jury littéraire ?
Je pense que oui. D'autant plus que j'ai passé un bac scientifique et je me morfondais de ne pas pouvoir consacrer plus de temps à la littérature.
Lisez-vous les Goncourt des lycéens ?
Pas vraiment. Ou disons que je ne les lis pas parce qu'ils ont reçu le prix. J'en lis certains parce qu'ils croisent ma route et m'intriguent. Ça a notamment été le cas pour « Petit pays » dont j'avais entendu beaucoup d'éloges venant d'amis aux goûts littéraires tout à fait opposés.
Alice Zeniter a publié L'art de perdre aux éditions Flammarion.