Ils ne sont pour rien dans mes larmes d’Olivia ROSENTHAL
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« Le cinéma ouvre à une liberté qui est sans lieu, sans paroles, sans voix, c’est un véritable espace intérieur. » (p. 49)
L’auteur :
Olivia Rosenthal a publié six récits (tous aux éditions Verticales) qui mettent aux prises des personnages obsessionnels, inquiets, décalés, avec un monde dans lequel ils ne se reconnaissent jamais tout à fait. Mes petites communautés (1999), Puisque nous sommes vivants (2000), L’Homme de mes rêves (2002) ou Les Fantaisies spéculatives de J.H. le sémite (2005) s’attachent aux formes étranges que prend la pensée d’un personnage quand, incertain de son identité, il est entièrement laissé à lui-même.
Olivia Rosenthal a également expérimenté des formes d’écriture plus directement adressées : fictions radiophoniques ou pièces de théâtre. Sa première pièce de théâtre Les Félins m’aiment bien éditée chez Actes Sud-Papiers a été mise en scène par Alain Ollivier au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis en 2005. Depuis elle a écrit deux autres pièces et travaille actuellement sur la part d’oralité que toute écriture recèle.
C’est dans cet esprit qu’elle s’est engagée dans des performances où elle dit en direct et en son nom propre des textes humoristiques, grinçants et décalés sur nos folies ordinaires. Ces textes écrits pour la scène en collaboration avec cinéastes, écrivains ou plasticiens, ont été présentés dans divers lieux artistiques et festivals (Lieu Unique à Nantes, festival des Intranquilles aux Subsistances, Ménagerie de Verre à Paris ou prochainement festival « Court toujours » à la Scène nationale de Poitiers).
Dans le cadre de ce travail qui associe l’écriture à des formes de lectures en direct, elle s’est engagée dans un projet sur l'« architecture en paroles ». Le premier volet est un récit-fiction réalisé pour le 104 : Viande Froide, aux éditions Lignes. Dans cette série toujours, elle a également publié Les Lois de l’hospitalité chez Inventaire-Invention.
Elle propose en mars 2012, dans la collection Minimales, Ils ne sont pour rien dans mes larmes, un récit morcelé qui explore les différentes relations, intenses et intimes, des personnages à leur film préféré. (Présentation de l’éditeur)
L’histoire :
« Quel film a changé votre vie ? » C’est la question simple et vertigineuse que pose ce livre. Pour y répondre, quatorze voix singulières racontent comment le cinéma est entré par effraction dans leur existence. C’est un livre sur tous ceux qui fréquentent les salles obscures pour se rassurer, pour oublier, pour se divertir, pour comprendre, pour avoir peur. On y rencontre des acteurs, des couleurs et des sons, des histoires de famille, des exemples à suivre, des motifs de rupture, toute une intimité avec des images souvent anciennes qui, passées au crible de la mémoire, continuent à hanter nos esprits et nos corps.
On y apprend que l’art n’est pas nécessairement coupé de la vie et on se dit que c’est une information à retenir. (Quatrième de couverture)
Ce que j’ai aimé :
Les quatorze personnages qui s’expriment en ces pages ont un lien viscéral très fort avec le cinéma, ou à tout le moins, avec un film vu un jour un peu par hasard. Qu’il soit une claque monumentale, un miroir de nos émotions, qu’il offre une réponse à certaines questions et éclaire des zones d’ombre, qu’il densifie la vie, le film évoqué a laissé une marque indélébile chez le personnage qui en parle. Comme s'il s'était adressé directement à eux, par des voies mystérieuses :
« Les enfants imaginent que leur père a quelque chose à leur dire. Ils imaginent que leur père n’arrive pas à le leur dire. Ils imaginent que le cinéma dira quelque chose à la place de leur père, que chaque film est une grande histoire parlée qui leur est directement adressée. Au lieu de regarder les images, ils écoutent et écoutent encore comme s’ils entendaient enfin la voix de leurs parents. » (p. 29)
Le texte regorge d'aphorismes, de phrases lumineuses qui sonnent et résonnent en nous, lecteurs et spectateurs :
« Quand on est habité par l’art cinématographique, on est plus fort que ses échecs, on croit qu’on pourra par sa seule générosité plier le monde à son désir. » (p. 41)
Rouge de Krysztof KIESLOWSKI
Tout spectateur se souvient lui aussi d'une osmose parfaite entre lui et un film, il garde en lui la puissance d'une réplique, la force de larmes, la délivrance d'un rire. En cela, ce petit livre sans prétentions émeut profondément le lecteur et lui rappelle la force de cette émotion perdue. Olivia Rosenthal elle-même évoque dans une scène finale avec humour et sensibilité ses propres réactions devant Les parapluies de Cherbourg :
« La première fois que je vois ce film
En compagnie de mon seul et unique amour
Et d’un couple d’amis
Je pleure tellement
Que je n’ose pas me lever
Ni regarder autour de moi
Ni parler
Et que je reste collée à mon fauteuil
Tête baissée
En faisant semblant d’être très occupée
A chercher quelque chose
Que je n’arrive pas à retrouver.
(…)
Avouer qu’on ne cherche pas ses clefs
Sous les fauteuils d’orchestre du dernier rang
Mais juste qu’on se cache
Pour pleurer
C’est sans doute pénible
Mais ça a l’avantage
D’être clair
Bien qu’à la vérité ça ne permette pas d’élaborer
Une analyse précise et poussée
Des raisons pour lesquelles on est à ce point-là
Affectée. » (p.100)
Ce que chante Olivia Rosenthal à travers ces personnages n’est pas simplement un hymne au cinéma, mais bien un hommage poignant à la culture, à l’art qui transcende le réel pour mieux le pénétrer et l’imprégner. Cet art influe sur nos vies et dessine des trajectoires dans des destins humains, il est finalement indissociable de la vie même tant les fils qui tissent les fictions et la réalité sont entremêlés…
Ce que j’ai moins aimé :
- Rien
Premières phrases :
« J’ai le vertige.
Depuis que ma sœur s’est jetée par la fenêtre, j’ai le vertige.
Quand on se jette du septième étage d’un immeuble parisien, sans matériel particulier pour freiner sa chute, on le fait pour mourir.
Parachutes, deltaplanes, ballons, corde, mousquetons, aile, cape, filets, toiles, tapis, matelas
les moyens ne manquent pas d’éviter le pire
si donc on n’utilise pas tous les moyens pour survivre, c’est qu’on se jette pour mourir.
Je me penche, je vacille, je bascule, je lâche, je plonge, je me renverse, je chute, je tombe, je cogne, je percute, je me heurte, je me brise, je m’endommage, je me fracture, je me fracasse, je m’ouvre, je me défais, je me disloque, je me déchire, je me désagrège, j’éclate. »
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Ils ne sont pour rien dans mes larmes, Olivia Rosenthal, Verticales, mars 2012, 109 p., 11.50 euros