La femme gelée d’Annie ERNAUX
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Dans ce roman autobiographique, Annie Ernaux cherche à « débroussailler son chemin de femme ». Elle montre les dynamiques à l’œuvre dans son parcours : le modèle parental, moderne finalement pour l'époque avec un père doux et rêveur qui aide aux tâches ménagères et une mère forte, qui encourage sa fille à lire et à flâner, une enfance durant laquelle elle n'a jamais eu cette idée que « petites filles sont des êtres doux et faibles, inférieurs aux garçons. Qu’il y a une différence dans les rôles.», puis l'adolescence ébrèche déjà son indépendance, puisqu'elle se retrouve comme les autres à vouloir séduire, à être soumise à la dictature du corps, à entrer dans les codes : « pas facile de traquer la part de liberté et celle du conditionnement, je la croyais droite ma ligne de fille, ça part dans tous les sens. ». Enfin viennent les premières amours, l'insouciance, les études menées à bien, jusqu'au mariage qui marque la fin d'une époque...
Ce que j’ai aimé :
Annie Ernaux peint le portrait d'une femme dans les années 60 et met subtilement en avant les limites de l’émancipation féminine dans ces années-là. Cette femme gelée, ce fut elle, mais ce fut aussi et c'est encore d'autres femmes dépossédées d'elles-mêmes et de toutes leurs aspirations.
Elle voyait dans le modèle de ses parents un couple bien plus moderne. Aussi, quelle ne fut pas sa désillusion quand elle s'est retrouvée confrontée à un mari progressiste dans ses propos, mais bien moins dans ses actes :
« Un mois, trois mois que nous sommes mariés, nous retournons à la fac, je donne des cours de latin. Le soir descend plus tôt, on travaille ensemble dans la grande salle. Comme nous sommes sérieux et fragiles, l’image attendrissante du jeune couple moderno-intellectuel. Qui pourrait encore m’attendrir si je me laissais faire, si je ne voulais pas chercher comment on s’enlise, doucettement. En y consentant lâchement. D’accord je travaille La Bruyère ou Verlaine dans la même pièce que lui, à deux mètres l’un de l’autre. La cocotte-minute, cadeau de mariage si utile vous verrez, chantonne sur le gaz. Unis, pareils. Sonnerie stridente du compte-minutes, autre cadeau. Finie la ressemblance. L’un des deux se lève, arrête la flamme sous la cocotte, attend que la toupie folle ralentisse, ouvre la cocotte, passe le potage et revient à ses bouquins en se demandant où il en était resté. Moi. Elle avait démarré, la différence. »
Annie Ernaux met en scène le long et insidieux délitement des idéaux d’égalité dans le couple : elle nous montre comment les aspirations féminines à l’égalité, la liberté, l’émancipation par les études ainsi que ses capacités de résistance ou de révolte sont sapées en douceur, sans conflit ouvert, mais sapées par le quotidien, par le poids des modèles sociaux, par la mauvaise conscience des femmes et la mauvaise foi des hommes...
Présentation de l'éditeur : Folio