La nuit tombée de Antoine CHOPLIN
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"Des poèmes. Un chaque jour. Comme si ça pouvait changer quelque chose à toute cette saleté."
Gouri revient sur les traces de son passé : il a quitté la zone de Tchernobyl deux ans plus tôt pour devenir écrivain public à Kiev. Nous sommes en 1988 et la catastrophe est encore dans tous les coeurs et sur tous les corps. Gouri regagne la campagne ukrainienne pour se rendre dans son ancien appartement mais aussi pour retrouver ceux qui sont restés là et ont survécu, tant bien que mal. Il y a ceux qui sont touchés, comme Iakov ou comme Ksenia la fille de Gouri ; ceux qui ont vécu de près l’horreur et, s’ils s’en sortent indemnes physiquement, ont été détruits intérieurement, comme Kouzma qui a vu son univers s’effondrer littéralement devant lui, devant ses yeux incapables de pleurer tant la douleur était grande. Ils ont tous dû abandonner leur maison, leur vie d’autrefois pour survivre ailleurs, en attendant de voir si la catastrophe nucléaire a laissé des stigmates sur eux.
« La bête n’a pas d’odeur
Et ses griffes muettes zèbrent l’inconnu de nos ventres. » (p.72)
Ils forment un groupe uni dans la détresse, une entité soudée, de ceux qui ont compris que la fraternité et la tendresse est tout ce qui peut les sauver.
Chaque jour, Gouri écrit un poème sur la catastrophe parce que « c’est déjà quelque chose » :
« Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter à ceux qui reviendront
Les enfants enlaçaient les arbres
Et les femmes de grands paniers de fruits
On marchait sur les routes
On avait à faire
Au soir
Les liqueurs gonflaient les sangs
Et les colères insignifiantes
On moquait les torses bombés
Et l’oreille rouge des amoureux
On trouvait le bonheur au coin des cabanes
Il y a eu la vie ici
Il faudra le raconter
Et s’en souvenir nous autres en allés. » (p. 71)
Comme les musiciens du Titanic qui auraient continué à jouer même quand le bateau sombrait, tous continuent à chanter, à jouer de l'accordéon, à rire ensemble, à mettre des mots sur le passé et l'avenir pour conjurer le poids de la solitude et rendre hommage aux destins avortés.
L'auteur témoigne ici "pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses, à admirer que de choses à mépriser." (Camus La Peste)
Un texte essentiel !
Présentation de l'éditeur : La Fosse aux ours
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