"Comment garder audible l'espérance dans le tumulte." Yves Bonnefoy
Hanna part sur les traces de son passé, consciente que pour être complète, elle a besoin de savoir ce qui l'a formé. Sa mère récemment décédée, Hanna découvre des photographies, des coupures de journaux qui l'amène à descendre le cours du fleuve jusqu'à Kamouraska, marchant sur ses traces. L'identité a besoin de vérité et c'est ce que recherche Hanna pour se construire. "On ignore ce qui permet d'éclairer le chemin vers soi."
Ce récit intime, très doux est porté par une poésie dont le rythme berce et résonne longuement.
"Des êtres de contradiction, voilà ce que nous sommes, me dit-elle, des créatures floues, contrastées, tendues entre joie et tristesse, entre toujours et jamais, des êtres ambigus qui ont du mal à supporter l’ambiguïté. Nous doutons, et c'est ce qui nous pousse à explorer, à laisser nos regards dériver pour accueillir en cours de route ce qui surgit, ces petits émerveillements qui nous transforment. Nous sommes humains, et l'imperfection nous rend vivants."
Roman autobiographique, La rivière du sixième jour, traduit aussi Et au milieu coule une rivière, raconte l'adolescence de Norman Maclean dans les Rocheuses. Pour Norman et Paul, la vie s'articule autour de la famille et de la nature. SI Norman mène une vie de famille relativement équilibrée, Paul connait une trajectoire plus débridée, ponctuée de bagarres dans les bars et d'alcool. Toutefois, les deux frères se retrouvent en symbiose avec la vie et les éléments quand ils pêchent côte côte, bercés par les remous de la rivière et par le lancer de leurs cannes à pêche. Ils partagent alors ce qui échappe à l'entendement, la magie d'un moment suspendu entre ciel et terre.
Ce récit est aussi teinté par la nostalgie des jours qui hantent à jamais, avec cette question qui revient comme un leitmotiv dans le roman "peut-on aider les autres ?", "aurais-je pu l'aider ou le sauver ?"
Hommage à son frère, à la pêche, au caractère rédempteur de la nature, ce roman magnifique est un incontournable, adapté au cinéma en 1991 par Robert Redford.
Dans ces trois nouvelles, l'auteur évoque son adolescence avec mélancolie, se souvenant de ces moments qui ne reviendront pas et auxquels on ne fait pas assez attention. Heureusement la littérature permet de les revivre et d'appeler le lecteur à s'arrêter sur ses propres expériences.
Dans la première nouvelle, il revient sur un des derniers étés de son adolescence, les soirées entre chums, les blondes rencontrées, et les chars finissant malencontreusement dans un champ... La deuxième se penche sur son père et la troisième rappelle les longs trajets de l'auteur, encore étudiant, entre le domicile de sa mère et celui de sa blonde. Une nuit, il croise un orignal blanc lors d'une tempête de neige, un signe, mais signe de quoi ? Juste que la vie est là, prête à des fulgurances et qu'il faut avoir confiance en elle pour nous surprendre et nous la faire aimer.
Ce recueil très court auréolé d'un charme nostalgique nous rappelle combien la vie est courte et précieuse...
"Quelle est la vérité de toute vie, Titch ? Je doute que même l'homme qui la vit soit en mesure de la dire. On ne peut pas connaître la vraie nature de la souffrance des autres.
- Non, mais on peut faire de son mieux pour ne pas l'aggraver." p 469
La Barbade, 1830. Washington Black, onze ans, est esclave dans la plantation de Erasmus Wilde, homme violent et sans cœur. Washington est protégé par une vieille esclave, Big Kit, jusqu'au jour où le propre frère de Erasmus le prend sous son aile, en tant qu'assistant. Christopher Wilde surnommé Titch a en effet un projet novateur : il veut construire un ballon dirigeable. Cet homme abolitionniste soutient alors le jeune Washington, fasciné par ses talent de dessinateur, il s'attache à lui et le défendra, quoiqu'il lui en coute.
Ce roman aux multiples aventures emporte son lecteur de La Barbade à Londres en passant par le Pôle Nord. Le jeune Washington apprend le prix de la liberté au fil des péripéties et aiguise peu à peu son jugement sur les personnes qui l'entourent. Lui aussi devra revoir ses préjugés et s'ouvrir pour trouver sa propre identité.
Memphis, 1939. Alors que leur mère vit un accouchement difficile et que son mari l'amène à l'hôpital, Rill Foss, douze ans et ses quatre frères et soeurs restent seuls en attendant leur retour. Mais des inconnus surviennent pour les enlever loin de leur péniche familiale amarrée sur les bords du Mississippi. Ils sont jetés dans un orphelinat, la Société des foyers d'accueil du Tennessee, dirigé par Georgia Tann, et réalisent peu à peu qu'ils ne reverront jamais leurs parents et que leur vie au bord du fleuve est révolue.
Des années plus tard, en Caroline du Sud, Avery Stafford est de retour dans la ville de son enfance pour seconder son père, sénateur. Lors d'une visite dans une maison de retraite, elle se laisse aborder par une vieille dame qui prétend la connaitre. Avery plonge alors dans les archives familiales et décide d'enquêter sur les origines de sa grand-mère.
Si l'auteure utilise cette vieille thématique toujours efficace des secrets de famille pour construire son roman, elle le fait intelligemment en se basant sur des faits réels. Cet orphelinat et cette directrice aux méthodes cruelles ont réellement existé pendant des décennies. Pus de 500 enlèvements ont été orchestrés par Georgia Tann dans la région de Memphis de façon à fournir des bébés à des couples riches, contre rémunération. Les enfants ont été élevés dans des conditions déplorables, si bien que plus d'un a trouvé la mort.
Ce que j'ai moins aimé :
La construction consistant à alterner les histoires permet certes d'alléger la dureté des scènes liées à l'orphelinat puisque les chapitres sur Avery s'avèrent plus légers, frôlant quelquefois même la caricature et la bluette amoureuse classique. Toutefois, cette partie de l'histoire aurait peut-être pu être traitée avec plus de subtilité, bien trop superficielle, elle fait perdre du crédit au roman.
"Je crois que la plus belle chose que l'on puisse dire à quelqu'un, c'est "Regarde." Et la position la plus tendre, ce n'est pas une longue étreinte, mais deux personnes se tenant côte à côte, regardant ensemble le monde. Quand les gens apprennent à regarder, ils commencent à voir, à voir vraiment. Quand ils commencent à voir, ils commencent à se sentir concernés. Et se sentir concerné, c'est l'entrée dans le monde moral."
Kathleen Dean Moore est écrivain, philosophe et naturaliste, engagée dans la défense de la nature sauvage, ses récentes publications portant sur le changement climatique.
Elle s'interroge donc en ces pages pour savoir comment sensibiliser l'homme à ces problématiques, et met ainsi en lumière le lien profond qui existe entre l'homme et son environnement. Aimer un endroit s'apparente à aimer le monde et l'univers et devrait donc naturellement amener l'homme à chercher ainsi à le préserver.
L'homme faisant partie d'un tout, si le tout disparait qu'advient-il de lui ? Notre dépendance avec le milieu naturel est indéniable et cette éthique écologique du care devrait être universelle, pourtant, cette préservation ne semble pas aller de soi.
Avec humilité, l'auteure livre sa propre expérience, ses fusions fugaces et inestimables avec le monde, quand, soudain, il vibre sous la peau et rayonne. Qu'elle soit allongée en pleine nature, sur une plage guettant une tortue luth, qu'elle contemple une pluie de comètes, ou partage du temps sur un bateau avec les gens qu'elle aime, elle aiguise son regard et ses sensations pour être plus intensément reliée.
Sa conclusion en appelle à la responsabilité de chacun :
"Il n’y a pas d’autre solution : nous devons devenir les gardiens des lieux que nous habitons. Nous devons être moralement responsables du bien-être de l’air, de l’eau, de la terre. Et si cela rend nos relations avec la terre compliquées et douloureuses, peut-être n’y a-t-il là rien de surprenant. « Un changement s’impose, écrivait Linda Hogan dans Dwellings ». Assumer le rôle de gardiens est la responsabilité la plus spirituelle et physique de notre temps. "
Quatre sœurs sont rassemblées autour de leur mère qu'elles soutiennent en l'absence de leur père engagé comme aumônier durant la guerre de Sécession aux Etats-Unis. Relativement pauvres, elles font face aux aléas de la vie en s'épaulant. Ainsi Meg l'aînée, Jo le garçon manqué et romancière en herbe, Beth si douce et délicate, et Amy plus frivole, bénéficient des conseils éclairés de leur mère qui leur apprend à aider les autres, à fuir la paresse en accomplissant des tâches quotidiennes.
Ce que j'ai moins aimé :
L'aspect moral un peu trop affirmé qui passe par les leçons / sermons de Mme March.
Bilan :
Un classique de la littérature américaine somme toute divertissant.
Harvey est en suspens : la veille de son procés, il reste confiant, il est persuadé qu'il sera disculpé de tout ce dont on l'accuse. De nouveaux projets l'attendent, il voit comme un signe de loger actuellement dans la maison voisine de celle de DonLillo, et décide qu'il va adapter son chez d'oeuvre Bruit de fond au cinéma. Il est enthousiasmé par son projet.
Cette plongée dans la tête du prédateur sexuel Harvey Weinstein est assez glaçante, tant Emma Cline le dépeint comme un homme coupé de la réalité, entouré d'une bulle protectrice que son esprit narcissique s'est fabriqué. Il ne lit que les commentaires encourageants sur lui, n'entend des autres que ce qui l'arrange.
Ce que j'ai moins aimé :
Je n'ai pas retrouvé en ces pages la puissance de The girls , était-ce dû au fait qu'il s'agisse d'un récit court (112 pages), une novella qui ne permet pas de totalement s'immerger dans cet univers ? Est-ce dû au caractère repoussant de cet homme ? Je reconnais la maitrise de l'écriture et l'acuité psychologique de l'autrice, mais je n'ai pas été conquise.
"Tuer ou être tué, manger ou être mangé, telle était la loi: et à ce commandement, venu du fond des Temps, il obéissait. "
Alors que Buck vit paisiblement en Californie, il se trouve enlevé à cet univers confortable pour être vendu comme chien de traineau dans le Grand Nord. La ruée vers l’or de 1897 et la découverte du gisement du Klondike attire dans le nord glacé des hommes venus du monde entier.
Buck rejoint un groupe de chiens menés par Perrault chargé de convoyer le courrier. Il découvre peu à peu que les lois qui régissent ce monde bien plus sauvage que ce qu'il a connu : la loi du plus fort règne et il devra apprendre à se faire entendre pour trouver sa place dans l'attelage.
Ce beau roman d'apprentissage nous plonge au cœur de la lutte entre l'homme civilisé et l'homme sauvage. Les passages lyriques de l'appel de la forêt résonnent dans nos âmes avides d'évasion :
"Chaque nuit, à neuf heures, à minuit, à trois heures du matin, ils faisaient entendre un chant nocturne, étrange et fantastique, auquel Buck était heureux de se joindre. Quand l'aurore boréale brillait froide et calme au firmament, que les étoiles scintillaient avec la gelée, et que la terre demeurait engourdie et glacée sous son linceul de neige, ce chant morne, lugubre et modulé sur le ton mineur, avait quelque chose de puissamment suggestif, évocateur d'images et de rumeurs antiques. Cétait la plainte immémoriale de la vie même, avec ses terreurs et ses mystères, son éternel labeur d'enfantement et sa perpétuelle angoisse de mort ; lamentation vieille comme le monde, gémissement de la terre à son berceau ; et Buck, en s'associant à cette plainte, en mêlant fraternellement sa vois aux sanglots de ces demi-fauves, Buck franchissait d'un bond le gouffre des siècles, revenait à ses aïeux, touchait à l'origine même des choses. "
"Il y a une extase qui nous porte au point le plus haut de la vie, au-delà duquel la vie ne peut s'élever. Le paradoxe est qu'elle se produit alors qu'on est - sans s'en rendre compte - pleinement vivant. Cette extase, cette inconscience d'exister appartiennent à l'artiste, saisi et projeté hors de lui-même dans une nappe de feu ; au soldat, pris de folie guerrière sur le champ de bataille, qui refuse de faire quartier. Elle appartenait aussi à Buck, en tête de la meute, poussant le cri du loup, tendu vers la proie vivante qui fuyait à toute allure devant lui au clair de lune."
"Il était sous l'emprise du pur déferlement de la vie, du raz-de-marée de l'existence, de la joie parfaite de chaque muscle, de chaque articulation, de chaque tendon particuliers - dans la mesure où c'était tout le contraire de la mort, toute l'ardeur et l'exubérance qui s'exprimaient dans le mouvement et volaient avec exultation entre les étoiles au-dessus de lui et la surface de matière inerte sous ses pas."
Pour ceux qui seraient moins sensibles à "l'appel de la forêt", les aventures de Buck s'enchainent à un rythme trépidant, plaçant sur sa route des personnages hauts en couleur, bienveillants ou malveillants. Le lecteur ne peut qu'être emporté à bord du traineau qui file dans le blizzard vers une fortune aléatoire.
J'ai été déçue par cette adaptation : trop américain à mon goût, les aspects intéressants du roman ont été gommés, lissés, pour ne pas dépasser et plaire au public le plus large possible. Des acteurs grand public (Omar Sy, Harrison Ford), pas de violence, quelques femmes en plus pour toucher tous les spectateurs, une histoire d'amour qui était absente de la version de Jack London.... Et c'est là où le bât blesse le plus à mes yeux, car cette histoire d'amour donne l'impression que Buck part non par pour répondre à l'appel sauvage de la forêt, mais pour répondre à l'appel humain de l'amour.
Je nuance mon avis car je sais qu'il plaît aux plus jeunes, ce qui reste tout de même une façon pertinente de les intéresser aux grands classiques.
Que voulez vous, les rouages américains restent malgré tout efficaces et savent toucher leur cible !
Derrière la façade dorée des couples, les histoires se nouent, se dénouent, chacun cache des petits secrets à l'insu des autres pour ne pas lézarder cette façade si difficile à entretenir. De fait, il est facile de juger l'autre trop hâtivement, facile de ne pas prendre la peine de le comprendre et de suivre plutôt le groupe, de signer une pétition en se fabriquant des excuses fallacieuses. Jusqu'au jour où quelque chose craque... Ainsi, le roman s'ouvre sur une mort, à la fête de l'école. En remontant le fil du temps, et en se focalisant sur trois femmes à la croisée du chemin, les secrets se révèlent au fur et à mesure pour expliquer cette mort. Jane est mère célibataire et elle vient d'emménager dans ce lieu paradisiaque avec son petit garçon. Elle rencontre Madeline, qui la prend rapidement sous son aile, et Céleste, une femme fascinante, elles aussi mères de famille. Les mères sont prêtes à tout pour protéger leurs enfants, mais quelquefois leurs choix ne sont pas des plus pertinents...
Derrière les personnages et situations un brin caricatural, se tapissent des sujets bien plus graves et profonds. Les différents degrés du mal sont représentés, et ils commencent souvent par des détails, de la simple médisance, par un regard qui se détourne alors que l'autre a besoin de soutien, ou par une invitation refusée. La tension monte crescendo, et les masques tombent un à un.