L'ange de l'oubli de Maja HADERLAP
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"Je suis fichée dans l'enfance comme un pieu dans une cour où on le secoue tous les jours pour vérifier qu'il supporte bien les secousses." p. 80
Maja Haderlap raconte l'histoire d'une fillette et de sa famille slovène dans les montagnes de Carinthie au lendemain de la seconde guerre mondiale. Chacun porte les stigmates de cette guerre qui a laissé des traces inaltérables : la grand mère a connu les camps de concentration et le père était partisan et est désormais dépressif. Comment se construire dans cet univers construit sur des fondations branlantes?
"La guerre est un sournois pêcheur d'hommes. Elle a jeté son filet vers les adultes et le retient captifs avec ses débris de mort, son bric-à-brac de mémoire. Une seule petite imprudence, une brève baisse d'attention et elle resserre son filet. (...) Elle surgit inopinément dans les phrases dites à la va-vite, tapie dans l'obscurité elle attaque." p. 75
L'histoire de ces slolvènes et de leurs rapports difficiles avec l'Autriche durant la seconde guerre mondiale est peu connue, et pour cause, le silence a été fait sur leur histoire. La Carinthie est pourtant un des neuf Lander de l'Autriche actuelle à la frontière de l'Italie et de la Slovénie. C'est une région biculturelle marquée par une double culture allemande et slovène, et un des seuls bastions autrichiens qui a organisé une résistance anti-hitlérienne. Cela s'explique par un conflit de nationalités hérité du XIX ème siècle. Pourtant, l'histoire amenuise et distord l'image des partisans slovènes alors que cette résistance est un élément constitutif de l'identité de ce peuple. Il existe un "no man's land" entre l'histoire de l'Autriche telle qu'elle est proclamée et l'histoire effective. C'est ce gouffre dont souhaite témoigner l'auteur dans ce roman, à la recherche de sa propre identité :
"L'ange de l'oubli a dû oublier d'effacer de ma mémoire les traces du passé. Il m'a fait traverser une mer où flottaient vestiges et fragments. Il a fait s'entrechoquer mes phrases avec des ruines et des débris charriés par les eaux pour qu'elles se blessent, pour qu'elles s'affûtent. Il a définitivement chassé l'image de l'angelot accrochée au-dessus de mon lit. Je ne le verrai pas, cet ange. Il restera sans forme. Il disparaîtra dans les livres. Il sera un récit." p. 227
L'importance de la mémoire est primordiale pour cette écrivaine qui nous offre ici un témoignage poignant.
Pourquoi seulement deux coeurs : Si l'enfance de la narratrice est romancée et emporte son lecteur dans cet univers peu connu, par la suite, le récit s'émousse pour devenir témoignage, et l'intensité, l'émotion s'en ressentent.
Présentation de l'éditeur : Métailié
D'autres avis : Page ; Micmag ; Initiales ; Electra ; Cathulu
L'ange de l'oubli, Maja Haderlap, traduit de l'allemand par Bernard Banoun, Métailié, août 2015, 240 p., 20 euros
Merci à l'éditeur.