A l'orient de tout. Oeuvres poétiques de François CHENG
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"La beauté est une rencontre"
"Quand se tait soudain le chant du loriot
L'espace est empli de choses qui meurent
Tombant en cascade un long filet d'eau
Ouve les rochers de la profondeur
Le vallon s'écoute et entend l'écho
D'immémoriaux battements de coeur."
"Vers le soir
Abandonne-toi
à ton double destin :
Habiter le coeur du paysage
Et faire signe
aux filantes étoiles."
Le lac Suwa dans la province de Shinano, (c) Hokusai
"Céder à l'invite du tronc couché
Céder à l'antique blessure
guérie par la résine du temps
Au sortilège d'un après-midi
en vierge forêt
Aux murmures ininterrompues de l'été
A la félicité de l'attente, à l'arrivée
inattendue d'une amante de rêve
Au bourdonnement autour des mûres
que les renards ont crachées
Aux écailles de serpent muées en papillons
A la soif qu'étanchent seules les larmes
A l'irrépressible nostalgie renée
de l'éternel instant
Céder à l'invite du héron debout
Qui, près de l'étang, là-bas
Tend le miroir d'un soir doré
au coeur de la mémoire terrestre."
"Réduit au plus ténu du souffle
Etre pure ouïe
Et faire écho en silence
Au respir des sycomores
Quand l'automne les pénètre
De son haleine d'humus et de brume
A la saveur de sel après larmes
Réduit au plus ténu du souffle
Abandonné au rien
Et au change
A rine de moins qu'échange
Là où voix est voie
Et voie voix
Là est"
Shiro Kasamatsu – Pin sous la pluie, Kinokunizaka, in Tokyo, 1938
"Ne laisse en ce lieu, passant
Ni les trésors de ton corps
Ni les dons de ton esprit
Mais quelques traces de pas
Afin qu'un jour le vent fort
A ton rythme s'initie
A ton silence à ton cri
Et fixe enfin ton chemin"
"Au bout de la nuit un seuil éclairé
Nous attire encore vers son doux mystère
Les grillons chantant l'éternel été
Quelque part la vie vécue reste entière"
Kawase Hasui (1883-1957), "Lune d'hiver à Toyamagahara" (ukiyo-e, c. 1931)
"Accorde-nous de boire l'eau céleste
Aussi pure que les perles de crapaud
sous l'éclair de la lune
De surgir une fois encore du sol
Des chairs meurtries au gré de la tige
du bambou réduite aux os
De ne pas oublier le cou de cygne
Plus tendre u'un rêve de paradis
au coeur de la foule en perdition
De perpétuer les mots non dits à jamais
Lèvres d'iris effleurées par la brise
émanant du volcan d'origine
"Nous reverrons-nous un jour ?"
"Mais..."
Présentation de l'éditeur :
A l'orient de tout. Oeuvres poétiques, François Cheng, Préface d'André Velter, Poésie/Gallimard, septembre 2005, 7.10 euros