Printemps des poètes 3
/image%2F0931533%2F20230301%2Fob_7e134c_simeon.jpg)
Quelques pistes de lectures pour s'envoler vers de belles découvertes
Après L’Ardeur, La Beauté, Le Courage, Le Désir puis L’Éphémère, j’avais en tête un intitulé libre et fantaisiste. Pas forcément féérique, mais sans équivoque ni férocité. Un mot qui en appelle à la félicité et à l’imaginaire. Jusqu’à ce que la tragédie guerrière s’abatte sur l’Ukraine. Que l’histoire des frontières, des conflits et des territoires, revienne cadenasser nos consciences. Tourmenter nos esprits.
Mais les frontières ne sont pas que géopolitiques ou armées. Pas qu’un enjeu meurtrier. Ni une ligne de front fortifiée. Il en est même que l’on ne cesse de franchir, du petit jour à la minuit, de l’enfance au lendemain, du visible au caché, de la mort à la vie, du réel à la poésie. C’est cet au-delà des frontières qu’il est temps de questionner, ce monde qui rassemble, étonne, dépayse, plus qu’il ne sépare. Ces limites qu’il nous faut constamment repousser. Ce danger qu’il nous faut conjurer.
D’antan à aujourd’hui, et à demain déjà. La peur et l’émotion qu’éprouvait Jean Genet au passage des frontières. La savante malice de Gilles Lapouge : « les frontières, je les aime et je les déteste ». La longueur de vue de Michel Butor qui, ayant le goût des lieux-dits, vivait volontairement « À l’écart » ou « À la frontière », expliquant : « Traverser les frontières m’aide à voir ». Allons donc y voir, plus loin que les paroles, les démarcations et les pensées toutes faites, là où les mots ouvrent l’espace. Outrepassent les pointillés des cartes. Là où l’être et l’âme en mouvement l’emportent sur l’à-plat des planisphères.
♥ ♥ ♥ ♥
"Le haïku est cette captation de l'instant à la recherche du mot juste et des priorités à accorder à ma vie. J'y trouve un rythme, une concision, une simplicité qui me pousse à aller vers l'essentiel, vers ce qui a du sens et qui est important."
Les pages parlent d'elles-mêmes, les aquarelles sont magnifiques et les textes percutants !
A lire, offrir, chérir...
Présentation de l'éditeur : L'échappée belle édition
"On pourrait
Avant de partir
Écouter une dernière fois
Le vent dans le feuillage
On pourrait
Laisser là
Nos os
Pour voyager plus léger
Et l’on attendrait
L’une de ces nuits
Où la lune
Ouvre un chemin sur la mer."
Louis Raoul Un bruit de bleu L’Ail des ours / 2021
"Tout ce qui est simple,
tout ce qui est fort en nous,
tout ce qui est durable même,
est le don d’un instant."
GASTON BACHELARD 1884 > 1962 L’intuition de l’instant Stock / 1932
♥ ♥ ♥
"Il s'agit surtout de passionner le temps" Vladimir Jankélévitch
L’ comme L’instant, E comme Envol, P comme Passion, H comme Humanité… C’est sur le mode d’un acrostiche que les Éditions Bruno Doucey ont conçu l’anthologie de la 24e édition du Printemps des Poètes. L’éphémère et son unique voyelle invoquée quatre fois, l’inachevé, le fugace, le passager… Sans omettre ces insectes qui ne vivent qu’un jour, l’enfance et ses changements incessants, la brièveté de la vie humaine au regard des temps géologiques, la mémoire en lutte contre l’effacement, le rêve plus insaisissable que l’oiseau, la neige qui renvoie le monde à son impermanence. Bien sûr il y a l’envers de toute chose : l’éternité et le « dur désir de durer » dont parle Éluard, la mort seule immortelle. Mais reconnaissons-le, l’éphémère est avant tout une invitation à vivre pleinement le peu de temps qui nous est donné. Ici et maintenant. Et sans attendre !
88 poètes parmi lesquels :
Katerina Apostolopoulou, Margaret Atwood, Édith Azam, Nawel Ben Kraïem, Hélène et René-Guy Cadou, Louis‑Philippe Dalembert, René Depestre, Ananda Devi, Patrick Dubost, Jin Eun-young, Nancy Huston, Charles Juliet, Yvon Le Men, Jean-Michel Maulpoix, Hala Mohammad, Ada Mondès, Paola Pigani, André Velter, Sapho, Fabienne Swiatly, Carmen Yáñez, Hyam Yared...
L’instant éternellement présent
Épingle ses éclats
Propulse les écueils
Habite les saisons
Efface peu à peu
Mon texte jamais écrit
Et pas un seul mot
Rien ne le retiendra
Encre sur la paume
au creux du temps
Acrostiche réalisé à partir de fragments de poèmes de : André Velter, Murielle Szac, Imasango, Albane Gellé, Samantha Barendson, Marianne Catzaras, Thierry Renard, Jeanne Benameur, Louise Dupré, Stéphane Juranics
Présentation de l'éditeur : Bruno Doucey
Quelques morceaux choisis :
Voyageurs du soir qui suivez la rumeur
Des vagues et l’étoile bleue des baies,
Gardez-vous de trop songer à vos songes
Et d’héberger pour longtemps les chagrins
Qui saccagèrent votre vie passée.
Il est au bout de la nuit une terre tout ensemble
Proche et lointaine que le jour naissant
Exalte d’hirondelles et de senteurs de goyave.
Un pays à portée de cœur et de sourire
Où le désir de vivre et le bonheur d’aimer
Brûlent du même vert ardent que les filaos.
Craignez de le traverser à votre insu :
Les saisons sur vos talons brouillent le paysage ;
Mais chaque pas est la chance d’un rêve.
Mais quand le soleil baisse, une joie confuse, une joie de tout mon corps m’envahit. Je m’éveille, je m’anime. À mesure que l’ombre grandit, je me sens tout autre, plus jeune, plus fort, plus alerte, plus heureux. Je la regarde s’épaissir, la grande ombre douce tombée du ciel : elle noie la ville, comme une onde insaisissable et impénétrable, elle cache, efface, détruit les couleurs, les formes, étreint les maisons, les êtres, les monuments de son imperceptible toucher.
Alors j’ai envie de crier de plaisir comme les chouettes, de courir sur les toits comme les chats ; et un impétueux, un invincible désir d’aimer s’allume dans mes veines.
Yves Bonnefoy
1923-2016
Poésie et photographie, Éditions Galilée, 2014.