La nuit n’est jamais complète.
Il y a toujours puisque je le dis,
Puisque je l’affirme,
Au bout du chagrin,
une fenêtre ouverte,
une fenêtre éclairée.
Il y a toujours un rêve qui veille,
désir à combler,
faim à satisfaire,
un cœur généreux,
une main tendue,
une main ouverte,
des yeux attentifs,
une vie : la vie à se partager.
Paul Éluard. (1895-1952) in Derniers poèmes d’amourPoésie d’abord
"La vie est grave. Il faut gravir." Pierre Reverdy
Thomas Vinau rédige ce "Carnet de bord assis au bord du temps" pour tenter de saisir le quotidien avant qu'il ne s'échappe, retenir encore un peu contre son coeur tous ces moments suspendus qui mis bout à bout créent bonheur "Dire le vent dans les arbres. Et les jets d'eau. Et les moineaux qui s'y baignent. Et la lumière sur les pierres de la terrasse." Saisir l'instant dans ce qu'il a d'éternellement beau, assujetti des contingences liées au temps.
Parce que souvent, le bonheur ne se saisit qu'après coup, quand il est trop tard et qu'il a filé se tapir sous les branches. La vie finit par nous désarmer, nous laissant pantelants, geignards, quand il aurait été si simple de regarder le monde, notre monde et de s'émerveiller quand il était encore temps. Si simple de dire à ceux qu'on aime que l'on tient à eux, d'admirer la ténacité de castors, de savourer la beauté d'un amour qui dure
"Je regarde les photos sur les murs en buvant à petites gorgées ma vielle compagne la solitude au fond du bol de café. On a avancé. On a pris des coups. On s'en est donné. On sait bien à présent que personne ne s'aime jamais comme il faudrait. Qu'à chaque instant on doit se retrouver. Le jour est bien levé maintenant, sa bataille habituelle commence. J'entends à la radio qu'on vieillit plus vite dans l'espace. O.K. mais à condition d'y être ensemble. Vieillir, c'est savoir que ça vaut le coup d'essayer. "
La page de remerciement même est un condensé de beauté :
Face à un monde désarmant, Thomas Vinau oppose une douce folie nécessaire à notre survie, indispensable à notre bonheur.
Le recueil "L'effraie" est, contrairement aux autres oeuvres de Jaccottet, fortement teinté d'éléments autobiographiques. Le poète évoque dans ses poèmes les étrangers, la mort de Michelle un amour rencontré en Italie à 21 ans, la nature, mais livre aussi sa vision du monde, les catastrophes qui vous écorche, puis la mort, la fin inéluctable qui nous guette au creux des chemins. Une atmosphère sombre court en ses pages, l'accent est mis sur la fragilité de l'existence, cette existence qui peut se déliter en un instant. De là, le poète s'interroge sur le sens de l'existence et sur la condition humaine.
"Errant encor vers la richesse des montagnes
dans la fraîcheur du trèfle nocturne, je fais
halte : notre pays est de pierre et de mûres
et les ruines de l'avenir en bornent l'aire."
L'effraie qui donne son titre au recueil est emblématique du recueil : animal nocturne au cri déchirant la nuit, il est clairvoyant, tout comme le poète à ses heures.
"La nuit est une grande cité endormie
où le vent souffle... Il est venu de loin jusqu’à
l’asile de ce lit. C’est la minuit de juin.
Tu dors, on m’a mené sur ces bords infinis,
le vent secoue le noisetier. Vient cet appel
qui se rapproche et se retire, on jurerait
une lueur fuyant à travers bois, ou bien
les ombres qui tournoient, dit-on, dans les enfers.
(Cet appel dans la nuit d’été, combien de choses
j’en pourrais dire, et de tes yeux... ) Mais ce n’est que
l’oiseau nommé l’effraie, qui nous appelle au fond
de ces bois de banlieue. Et déjà notre odeur
est celle de la pourriture au petit jour,
déjà sous notre peau si chaude perce l’os,
tandis que sombrent les étoiles au coin des rues."
Un recueil assez triste qui nous interroge sur notre finitude.
J’ai demandé la lune au rocher J’ai pensé qu’en m’agrippant Je sauverais l’instant J’ai pensé qu’en m’accrochant J’arrêterais le temps
J’ai demandé la lune au rocher Et j’y ai cru longtemps M’entraînant Soulevant des poids Brisant des plumes
Je n’ai pas vu venir Passer Rides années Tout entière absorbée par le rocher
Je le caresserai toujours Car je crois au vieil amour qu’on rajeunit De l’aile chaque jour Mais je cède maintenant aux caprices du vent Va mon cœur Mène moi où tu voudras
J’ai demandé la lune au rocher Et j’ai cru lire un jour sur sa face Impassible « Oublie-la »
Et j’ai reçu en partage L’étoffe des nuages Qui déploie ses formes étranges Le sourire des mésanges Le vieux pin qui là-haut Doucement se balance L’amour Encordé à jamais
J’ai demandé la lune au rocher Et il m’a tout donné
"Tu dois te remettre à l'heure heureuse" s'admoneste l'auteure. Agressée par le monde, par cette modernité quelquefois aliénante, il est difficile de trouver sa place et d'exercer le "dur métier de vivre". Restent les mots, comme un rempart, leur assemblage comme magique qui permet de créer, le temps d'un vers, un brin de beauté.
Dans sa poésie du quotidien Valérie Rouzeau observe les sorties d'école, les repas, les balades urbaines, les soldes, et d'un oeil neuf et d'une écriture vive, elle restitue la modernité des sujets. L'inspiration se terre partout et les associations décalées créent la surprise.
Imaginé à l’initiative de Jack Lang, et créé à Paris du 21 au 28 mars 1999 par Emmanuel Hoog et André Velter, afin de contrer les idées reçues et de rendre manifeste l’extrême vitalité de la Poésie en France, Le Printemps des Poètes est vite devenu une manifestation d’ampleur nationale. Sous l’impulsion d’Alain Borer en 2001, puis de Jean-Pierre Siméon de 2002 à 2017, un Centre de Ressources pour la Poésie est venu prolonger les temps forts du Printemps tout au long de l’année. C’est ainsi que la voix des poètes s’est propagée et que de nombreuses actions poétiques se sont déployées sur tout le territoire et jusqu’à l’étranger.
Au fil des saisons, avec le soutien des Ministères de la Culture, via le Centre National du Livre, et de l’Éducation Nationale, la petite équipe du Printemps des Poètes a su tisser une immense communauté active : poètes, éditeurs, enseignants, élèves, bibliothécaires, chanteurs, comédiens, musiciens, lecteurs… Avec cette 20e édition, c’est un troisième souffle, un passage de témoin à Sophie Nauleau qui entend bien décupler cette aura du poème : « Pour Le Printemps des Poètes 2018, je voulais plus qu’un thème, je voulais un emblème. Une bannière qui étonne et aimante à la fois. Un mot dont tous les synonymes disent l’allant, la passion, la vigueur, la fougue, l’emportement. Un vocable vaste et généreux qui, à lui seul, condense l’élan et l’inspiration poétiques. Plus qu’un intitulé, L’Ardeur est le souffle même de la Poésie. Ernest Pignon-Ernest, qui avait calligraphié la signature du Printemps dès l’origine, a imaginé ce somptueux pastel représentant l’envol d’un être ailé. Est-ce un homme, une femme, un ange, une chimère ? C’est tout cela, mais aussi Zélos, le dieu grec du zèle et de l’ardeur, frère méconnu de Niké, la Victoire. Cette aile bleue sur un revers de toile brute est à l’image de notre ambition : à la fois intense et artisanale. Un dessin fait main qui importe en ce troisième millénaire de très haute technologie. Car s’il s’agit d’habiter encore poétiquement le monde, il est vital que la langue des poètes continue de pulser en chacun de nous. Ce qui ne nous empêche guère de travailler à une toute nouvelle version du site internet pour 2018 : la Poésie aussi étant un art de pointe. »
Léon-Paul Fargue, poète piéton se promène dans le Paris d'avant guerre, et chante sa ville ses quartiers, les cafés, les hôtels, et ses lieux emblématiques, quartiers par quartiers. Il agrémente son récit de rencontres, d'anecdotes qui illustrent cette vision nostalgique d'une ville qui s'évanouit peu à peu, toujours changeante sous les feux de l'histoire qui couve.
"Si j'avais quelque jeune disciple à former, je me contenterais probablement de lui murmurer ces seuls mots : sensible, s'acharner à être sensible, infiniment sensible, infiniment réceptif. Toujours en état d'osmose. Arriver à n'avoir plus besoin de regarder pour voir. Discerner le murmure des mémoires, le murmure de l'herbe, le murmure des gonds, le murmure des morts. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses mélodies, douleur pour que les douleurs se glissent jusqu'à nous, attente pour que l'attente fasse enfin jouer ses ressorts. Ecrire, c'est savoir dérober des secrets qu'il faut encore savoir transformer en diamants. Piste longuement loin, s'il le faut" p. 11
"Au-delà du halo des grands boulevards, l'éventail de vitres de la gare de l'Est commence à rougir. Et, par les soirs de fête, les arbres se garnissent à perte de vue d'oranges sanguines, dont la lumière en chemise à plis peint en bras nus les branches poudreuses..."Suite de la rêverie
"J'ai bu le lait divin que versent les nuits blanches."Suite de la rêverie
"Nous pourchassions l'immense variété de vivre. Nous déchirions l'album des rues et des boutiques. Nous courions dans les fêtes en voleurs d'images." Talus
Le titre de ce livre est devenu le nom que l'on donne à Fargue. C'est lui qui est à jamais "le piéton de Paris".
En peu de mots, en quelques vers, en quelques sons, dire l'essence du monde. Chanter sa beauté, chanter sa puissance, chanter l'étonnement de l'humain qui pénètre à pas de velours aux côtés de son incandescence et qui n'en finit pas de s'étonner d'être là. Le poète sait intuitivement être présent au monde et accepter ce qui luit, comme il accepte l'obscurité inhérente à la vie.
Les mots enchantés de François Cheng résonnent puissamment en nos âmes.
"Voici que la sève a gravi les degrés
du haut fût jusqu'à la cime,
Que les branches ont poussé leur effervescence
jusqu'aux confins du désir,
Vois : même réduite en fumée, la saison
garde sa flamme incandescente ;
Viens : réponds oui à l'invite à habiter
corps et âme le lieu vacant.
Dans le souffle éternel, tout instant est gloire de la donation totale."
"La Poésie, c'est l'Enthousiasme cristallisé" Alfred de Vigny
Sont réunis dans ce recueil plus de cent auteurs qui tous rappellent la nécessité d'"habiter poétiquement le monde" pour reprendre l'expression d'Hölderlin.
Autour de cinq grandes périodes sont rassemblés des textes essentiels sur la poésie :
- Le monde romantique avec Schlegel, Holderlin, Novalis, Keats, Shelley, Wordsworth, Leopardi, Hugo, Lamartine, Sand.
- Le monde post-romantique avec Emerson, Whitman, Poe, Baudelaire, Rimbaud.
- Le monde moderne avec Apollinaire, Yeats, Rilke, Proust.
- Le monde du renouveau avec Breton, Reverdy, Jouve.
- Le monde contemporain avec Deguy, Bonnefoy, Jacottet, White, Cheng, Bobin.
Chacun expose sa conception de la poésie et explique pourquoi elle est essentielle à notre âme...
"Le privilège spécifique de la poésie est un certain pouvoir qu'elle a d'interpréter les choses. Entendez par là, non pas le pouvoir de tracer, avec du blanc sur du noir, une explication du mystère de l'Univers, mais le pouvoir de nous présenter les choses d'une telle façon que s'éveille en nous un sentiment merveilleusement riche, original, intime des choses et de nos relations avec elles. Que ce sentiment s'éveille ne nous à l'endroit des objets qui nous sont extérieurs, et aussitôt nous nous sentons en contact avec la nature même, avec l'essence de ces objets ; ils ne nous causent plus d'angoisse, ils ne nous accablent plus ; nous tenons leur secret ; l'harmonie s'est faire ente nous et eux. Sentiment qui nous apaise, qui nous comble comme nul autre ne pourrait faire."Matthew Arnold
De l'importance de regarder et interroger la beauté des choses :
"De là vient que la plupart des gens ignorent que le monde est beau et que les plus petites choses, la moindre fleur, une pierre , une écorce, une feuille de bouleau, manifestent une splendeur. Les adultes, qui ont des affaires et des soucis et qui se tourmentent de ces riens, cessent bientôt complètement de voir ces richesses que ces enfants, s'ils sont attentifs et bons, ont tôt fait de découvrir et d'aimer de tout leur coeur. Le plus beau serait pourtant que chacun s'efforçât de rester toujours, à cet égard, comme un enfant attentif et bon, candide et pieux de coeur, et ne perdît jamais le don de tirer autant de joie d'une feuille de bouleau, d'une plume de paon ou d'une aile de corneille mantelée que d'une haute montagne ou d'un magnifique palais. Le petit est aussi peu petit que le grand est grand. Une grande beauté éternelle imprègne le monde tout entier, équitablement répartie sur les petites choses et les grandes ; car, pour l'important, pour l'essentiel, il n'est pas sur terre d'injustice."Rainer Maria Rilke
"Car il n'est pas nécessaire d'écrire pour être poète. Il faut et il suffit d'être en état de grâce et de contemplation." Léon-Paul Fargue
"Le rôle du poème et du poète c'est d'aider l'autre à trouver sa poésie, à faire en sorte de vivre sa vie dans cette présence à soi et aux choses au cours des actes les plus quotidiens : préparer son café,seul le matin dans une cuisine, aller au travail, regarder un pigeon qui passe, une pierre qui roule..(...)
La poésie, c'est la sensation de nos rapports avec les choses les plus humbles comme les plus grandes, sensation qui fait de la vie un perpétuel madrigal de Monteverdi.
Trouver à la vie -sa vie- une certaine tonalité, un certain prolongement, une certaine exaltation ; vivre tout évènement quotidien dans les coordonnées de l'éternité, c'est pour moi la poésie." Eugène Guillevic
"La poésie serait ces moments chargés de clarté et de mystère, qui par leur inflexion naturelle nous prennent au passage en nous convainquant, le temps d'une extase à la fois passagère et durable, d'une sorte de surcroît de l'être."Michael Edwards
"Disons : la poésie illimite le réel, elle rend justice à sa profondeur insolvable, à la prolifération infinie des sens qu'il recèle. Inquiétant ? Oui. La poésie est inquiétante, elle récuse par principe la quiétude du sens, elle est même davantage : une leçon d'inquiétude. Or cette inquiétude est une sauvegarde puisqu'elle objecte à toute pesée arrêtée, à l'insolence des certitudes, au figement des dogmes, aux absolutismes et fanatismes subséquents. Elle est donc le gage d'une liberté insolvable, de cette "liberté libre" que nommait Rimbaud qui revendique une autonomie sans compromis de la conscience face aux décrets de toutes sortes qui enjoignent des chemins d'existence. On comprend que dans un temps plus obsédé que jamais de prise et de maîtrise, d'ordre et de sécurité, toutes choses qui ne s'obtiennent qu'en réprimant justement la part d'inconnu, d'imprévisible, d'indécidable que porte immanquablement le réel, la poésie soit tenue pour intempestive." Jean Pierre Siméon qui conclue :
Ce 19e Printemps des poètes invite à explorer le continent largement et injustement méconnu de la poésie africaine francophone. Si les voix majeures de Senghor, U Tam'si ou Kateb Yacine par exemple, ont trouvé ici l'écho qu'elles méritent, tout ou presque reste à découvrir de l'intense production poétique africaine, notamment celle, subsaharienne, qui caractérisée par une oralité native, tributaire de la tradition des griots et nourrie par ailleurs des poésies d'Europe, offre des chemins neufs sur les terres du poème.
Parole libérée, rythmes imprévus, puissance des symboles et persistance du mythe: écoutons le chant multiple des Afriques , du Nord et du Sud. Il va de soi que cette exploration ne peut ignorer les voix au-delà du continent africain, des Antilles à la Guyane, de Madagascar à Mayotte ...
Ce 19e Printemps des Poètes sera l'occasion de mettre en avant notamment l'oeuvre de Léopold Sedar Senghor et de Tchicaya U Tam'si.