En étrange pays de Karel SCHOEMAN

Publié le par Hélène

♥ ♥ ♥  

"Chacun de nous doit supporter sa propre solitude." p.217

Sur les conseils de son médecin, Versluis, un bourgeois hollandais vient soigner sa maladie des poumons aux confins de l'Afrique, à Bloemfontein, en Afrique du Sud. Il est censé tirer profit de l'air sec du "veld". Il s'installe d'abord à l'hôtel avant de trouver refuge dans la pension de Mme Van der Vliet. Son univers se réduit à la communauté hollandaise et allemande de la petite ville. Il fréquente d'abord les Hirsch, une famille tonitruante, pour qui ce nouvel arrivant constitue un palliatif à leurs habitudes de colons. Mais Versluis ne tarde pas à se lasser de leurs conversations mondaines, le pays et l'approche de la mort réclament pour lui plus de calme et de paix. Ainsi, il se rapproche du pasteur Scheffler et sa famille qui lui apprennent peu à peu à apprivoiser le vide de cet étrange pays.

"Il aurait aimé trouver les mots afin d'évoquer pour eux l'éclat blanc de cette chaleur de l'après-midi. Il aurait aimé trouver des mots pour décrire l'aspect désolé du veld qui entourait la ville, et les sensations d'inquiétude et de joie qu'il éveillait en lui. Mais les mots existaient-ils ? Possédait-il le langage nécessaire à de tels récits ?" p. 78

Jour après jour, visite après visite, il tombe sous le charme du bonheur calme de cette famille et son univers s'éclaire en découvrant d'autres moeurs. 

"C'était ainsi que vivaient les gens, se dit-il - ils s'asseyaient ensemble dans la clarté des lampes pour boire du café, ils jouaient de la musique ensemble, ils parlaient ensemble, et ils n'avaient pas besoin de beaucoup de mots parce qu'ils connaissaient les mêmes choses et qu'ils partageaient un vaste espace commun de référence. Plus tard, dans le ville obscure et moribonde où il souhaita bonne nuit à Mme Van der Vliet avant de se retirer dans sa chambre, dans la nuit profonde où les animaux nocturnes hurlaient et où les aboiements des chiens se répondaient, il se rappellerait que d'autres gens vivaient leur vie, regardaient la pendule, écoutaient un instant pour vérifier s'ils entendaient un bébé pleurer, avant de se retourner en souriant vers leurs compagnons." p. 226

Le pasteur et sa soeur ont vécu au coeur du pays, au plus près des locaux et leur regard sur la colonisation est très opposé à ceux des hollandais et allemands de la communauté : 

"Parfois, je pense que nous avons échoué. (...) Nous avons apporté la civilisation ici ; nos maisons et nos églises ; nos meubles, nos livres et nos modes d'Europe : nous avons apporté ici sans qu'on nous le demande et nous l'avons entassé comme si l'Afrique était une sorte de tas d'ordures, et nous sommes venus vivre ici selon les modèles que nous ou nos parents avons apportés d'ailleurs. Nous vivons de souvenirs et nous nous entourons de fantômes, et quant à l'Afrique elle-même, nous ne la voyons que de loin, deriière les rideaux en dentelle que nous avons accrochés devant les fenêtres de nos salons. (...) Quant aux Noirs que ne leur avons-nous pas fait ? Nous leur avons fait des cadeaux douteux, les maisons et les églises européennes, l'argent, l'alcool et des maladies qui leur étaient totalement inconnues.D'un côté nous avons essayé de les élever, comme nous disons, sans qu'ils nous l'aient jamais demandé, et de l'autre nous les repoussons chaue fois qu'ils s'approchent trop et que nous nous sentons menacés. Qu'avons-nous fait de ce pays ? Et de quel droit ?" p. 248

Cette "histoire d'une âme en quête du dépouillement absolu" résonne dans nos âmes émues bien après la dernière page tournée... Elle nous parle philosophiquement de la mort non pas comme une fin, mais davantage comme une paix de l'âme et du corps. Les paysages désolés du veld s'accordent parfaitement avec l'esprit en délition de Versluis. L'étrange pays n'est-il pas l'aboutissement d'une vie que le vide envahit ?

http://southafricaphotoblog.tumblr.com/

"Ne plus faire qu'un avec cette terre, comme les dieux et les esprits dans d'autres pays, et dans le même temps lui permettre de ne plus faire qu'un avec soi, dans l'obscurité parmi les pierres, les racines et le gravier." p.254

Aux confins du monde et de sa vie, Versluis rencontrera peut-être enfin la plénitude de l'humanité...

 

Présentation de l'éditeur : Phébus ; Libretto

Du même auteur : Cette vie

 

En étrange pays, Karel Schoeman, traduit de l'anglais par Jean Guiloineau, Phébus, février 2007, 20.30 euros, 11.80 en libretto

 

Je remercie Sandrine et son Lire le Monde consacré aujourd'hui à Karel Schoeman et sans qui je n'aurais sans doute pas relu cet auteur pourtant si profond !

 

Publié dans Littérature Afrique

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S
Hello Hélène, grâce à Keisha, je viens de lire ce superbe roman et je découvre à l'instant ton billet. Je vois qu'on partage le même enthousiasme !!
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H
QUel auteur !!
E
contente de te voir à nouveau totalement emballée par un livre ! comme je le disais à Keisha, il me fait de l’œil depuis longtemps ! Bon je sors aussi d'Afrique (du Kenya) et j'ai trouvé quelques passages proches entre les deux œuvres (Blixen pour moi).
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H
Oui c'est une merveille
A
Je suis tombée sous le charme de cet auteur moi aussi. Je pense que mon prochain livre de lui sera En étrange pays !
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H
Il te plaira !
K
Son plus beau roman? je ne sais pas, en en tout cas c'est le dernier que j'ai lu, il résonne fort en moi.
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H
Il laisse des traces, indubitablement !
B
Très beau billet, qui donne une idée précise de ce qu'on peut attendre de cette lecture (pour laquelle, je pense, il faut attendre le moment ad hoc).
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H
Merci !
A
Troisième billet lu aujourd'hui sur ce roman ; c'est intéressant de voir vos différentes approches. En tout cas, je retiens le nom de l'auteur.
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H
Oui je pense pour le coup que notre enthousiasme est unanime !
C
J'ai hésité entre ce titre et Cette vie sur quoi je me suis finalement rabattu (le premier n'etait pas disponible à la bibli!) Jai hâte de lire celui-là aussi.
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H
Et moi hâte de lire les autres
M
J'avais hésité avec un autre titre de l'auteur....J'y reviendrai sans aucun doute
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H
Oh oui on a envie d'y revenir...
A
J'avais adoré "cette vie" et je lirai encore d'autres titres du même auteur. Mais c'est une plume qui demande de prendre son temps, je trouve, je me le garde pour de longues plages de lecture, sans trépidation extérieures. Normalement, c'est prévu pour dans pas trop longtemps !
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H
Chic !
K
Ouh la la ! Vos avis me laissent un peu perplexes... ce n'est pas le genre de roman qui doit plaire à tous les coups... sans doute faut-il tomber au bon moment !
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H
Oui il faut quand même une certaine disponibilité...
D
c'est un de mes auteurs favoris, j'ai tout lu ce qui est paru en français mais hélas je suis au bout<br /> j'ai beaucoup aimé celui là même s'il est sombre<br /> C'est vraiment un auteur magistral si tu ne l'as pas lu je te conseille Une vie ...magnifique
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H
Je vais enchaîner c'est certain !
C
C'est très tentant ! Bravo pour ce blog très intéressant que je n'avais pas encore repéré ; mais je viens de m'abonner, merci !
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H
Merci !
M
Ce livre a l'air très beau et ta façon d'en parler montre qu'il t'a fortement ému...<br /> Je ne connais pas du tout cet auteur. Merci de partager tes lectures avec nous. Grâce à toi je sens que je vais faire à nouveau une belle découverte.
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H
Oh oui une magnifique découverte !
S
Keisha a choisi le même roman. Tes extraits et les siens sont superbes et confirment largement mon envie de découvrir plus encore cet auteur.
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H
Ce livre est magnifique !