En camping-car de Ivan JABLONKA
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"Le camping-car nous a emmenés au Portugal, en Grèce, au Maroc, à Tolède, à Venise. Il était pratique, génialement conçu. Il m’a appris à être libre, tout en restant fidèle aux chemins de l’exil. Par la suite, j’ai toujours gardé une tendresse pour les voyages de mon enfance, pour cette vie bringuebalante et émerveillée, sans horaires ni impératifs. La vie en camping-car. "
Dans les années 80, les parents de Ivan Jablonka font l'acquisition d'un camping-car pour passer des vacances sous l'aune de la liberté. Ces vacances seront les moments de son enfance durant lesquels l'auteur aura été le plus heureux, libre, lové dans l'interstice voluptueux placé entre l'école, les études plus pesantes. Il s'efforce de répondre à l'injonction de son père "Soyez heureux", cette obligation au bonheur par respect pour ce que sa famille a pu subir, ses grands-parents ayant été assassinés à Auschwitz, et son père sommé de grandir dans les institutions réservées aux orphelins de la Shoah. En famille, il arpente donc les rives de la Méditerranée, la Grèce, l'Italie, le Maroc, mais aussi la Californie, et profite de ce qui s'offre à lui :
"A Nazaré, un petit port sur l'Atlantique au nord de Lisbonne, nous nous attardons sur la plage à la fin de la journée, après le départ des touristes. Des boeufs, aiguillonnées par les pêcheurs, remontent des filets remplis de poissons. Les filets sortent lentement de l'eau, l'air se remplit d'écume, le soleil fait étinceler le frétillement argenté. Les pêcheurs, d'allégresse, jettent leurs casquettes en l'air." p. 17
Ces voyages ponctués de visites culturelles organisées avec talent par ses parents permettent également au jeune garçon d'appréhender l'histoire autrement : il erre dans les colonnes du temps en recherchant des tessons, des plantes, des fibules, des épaves, ce qui le confortera dans sa passion pour l'histoire : "L'historien est quelqu'un qui voyage dans l'espace autant que dans le temps."
Ivan Jablonka évoque aussi une époque révolue, pourtant pas si loin de nous, avant Internet, avant les ordinateurs portables, un monde sans airbags, sans Facebook, sans teinter son récit de nostalgie, il décrit en historien ce monde éteint.
"J'ai grandi dans le camping-car et le camping-car m'a fait grandir. En valorisant une culture démocratique et une manière d'être toujours en mouvement, il a été le support d'un rapport au monde qui fait le lien entre le cosmopolitisme juif du XIXème siècle, la culture contestataire du XXème siècle et les idéaux de la gauche du XXIème siècle." p . 136
Ce que j'ai moins aimé : J'ai été gênée, comme pour Laëtitia, par ce côté décousu, entre autobiographie, essai sociologique, historique... J'appréciais les passages liés au récit des vacances, saisie par la poésie qui se dégageait des descriptions, puis brusquement, cette poésie s'arrêtait net pour laisser place à des considérations sociologiques ou historiques, et j'ai été dérangée par ce mélange abrupt des genres qui oblige à faire un va-et-vient sans cesse entre différentes émotions. Je ne dois pas avoir le cerveau assez élastique pour cette gymnastique... (l'âge sans doute...)
Bilan : Pour l'auteur, il s’agit de « débusquer ce qui en nous n’est pas à nous. Comprendre en quoi notre unicité est le produit d’un collectif, l’histoire et le social. Se penser soi-même comme les autres. » Beau projet, qui conviendra à ceux qui ont le cerveau vif et élastique...
Présentation de l'éditeur : Seuil
Du même auteur : Laëtitia ou la fin des hommes
D'autres avis : Presse : Télérama, Nouvel Obs ; Blogs : Joëlle
En camping-car, Ivan Jablonka, Seuil, janvier 2018, 192 p., 17 euros