Laëtitia ou la fin des hommes de Ivan JABLONKA
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Prix Médicis 2016
Par une nuit sombre de janvier 2011, la jeune Laëtitia disparaît, laissant ses proches désemparés. Enlevée et assassinée, son corps n'est retrouvé que plusieurs semaines plus tard. Ce sordide fait divers est le prétexte pour Ivan Jablonka de lancer une enquête policière, mais aussi sociologique. Il justifie ainsi son recours au fait divers :
"Je voudrais montrer qu'un fait divers peut être analysé comme un objet d'histoire. Un fait divers n'est jamais un simple "fait", et il n'a rien de "divers". Au contraire, Laëtitia dissimule une profondeur humaine et un certain état de la société : des familles disloquées, des souffrances d'enfant muettes, des jeunes entrés trop tôt dans la vie active, mais aussi le pays au début du XXIème siècle, la France de la pauvreté, des zones périurbaines, des inégalités sociales. On découvre les rouages de l'enquête, les transformations de l'institution judiciaire, le rôle des médias, le fonctionnement de l'exécutif, sa logique accusatoire comme sa rhétorique compassionnelle. Dans une société en mouvement, le fait divers est un épicentre."
Il explique que Laëtitia est un fait social : "Elle incarne deux phénomènes plus grand qu'elle : la vulnérabilité des enfants et les violences subies par les femmes." En parlant d'elle, l'auteur nous parle du désarroi du père à qui on retire la garde de ses enfants, décrit le processus de placement dans les foyers ou familles d'accueil, pas toujours très pertinent "Comme leurs enfants, les parents ne comprennent pas très bien ce qui leur arrive. Mais ils ont saisi l'essentiel : "J'aurais préféré les garder, mais j'avais pas le droit." "Une fois que la justice a retiré les enfants "en danger", elle ne les rend plus. L'idée que les parents sont en trop reste gravée dans le cerveau reptilien des institutions." Il aborde aussi la question de la récidive et du suivi judiciaire des délinquants en mettant l'accent sur le conflit entre l'exécutif et les magistrats. Fondamentalement, il évoque enfin les rapports de domination des hommes sur les femmes. Les ramifications sont effectivement multiples, comme une hydre, le fait divers s'étend dangereusement au-delà de ses frontières pour toucher tous les domaines.
Ce que j'ai moins aimé : Il s'agit pour moi davantage d'un documentaire sur ce fait divers que d'un réel roman. Le jury Médicis, présidé par Alain Veinstein a primé cette oeuvre qui revendique "des choix à la fois d'hybridation des genres et qui rappellent ce qu'on peut faire face à l'histoire et au réel." Soit. Personnellement, j'adhère difficilement à ces frontières entre fiction et réel...
Bilan : Laëtitia est une analyse sociologique d'un fait divers dotée de qualités indéniables. L'auteur souhaite avant tout rétablir la petite Laëtitia dans son statut de jeune fille. Il témoigne pour elle, retrace sa vie et son parcours et à travers ses pages, lui redonne peu à peu vie. Très médiatisée, en 2011 cette affaire avait été comme volée par tous les protagonistes satellites, notamment par les politiques, Nicolas Sarkozy en ayant profité pour s'attaquer au travail de la justice et durcir la législation pénale. Aujourd'hui sous nos yeux, la jeune femme fragile redevient Laëtitia, non plus un fait divers, mais un être de chair et de sang.
Présentation de l'éditeur : Seuil
D'autres avis : Télérama ; Séverine
Laëtitia ou la fin des hommes, Ivan Jablonka, Seuil, août 2016, 21 euros