Tituba est née à la Barbade, elle est fille l'esclave Abena violée par un marin anglais à bord d'un vaisseau négrier. Très tôt, elles est initiée aux pouvoirs surnaturels par Man Yaya, guérisseuse et faiseuse de sorts. Malgré les mauvaises prédictions, elle se marie avec John l'Indien qui l'entraine à Boston, puis à Salem auprès du pasteur Parris, au sein d'une petite communauté puritaine. C'est là, qu'a lieu en 1692 le célèbre procès des sorcières de Salem et que Tituba sera arrêtée et oubliée dans sa prison. Maryse Condé imagine ensuite la suite de ce personnage historique réel, souhaitant rendre justice à cette femme victime des préjugés.
En effet, pourquoi tacher d'opprobre ces femmes ? : "La faculté de communiquer avec les invisibles, de garder un lien constant avec les disparus, de soigner, de guérir n'est-elle pas une grâce supérieure de nature à inspirer respect, admiration et gratitude ? En conséquence, la sorcière, si on veut nommer ainsi celle qui possède cette grâce, ne devrait-elle pas être choyée et révérée au lieu d'être crainte ?"
Tituba communique ainsi avec ceux qui ne sont plus - même si elle n'écoute pas toujours leurs conseils en ce qui concerne les hommes, poussant sa mère à déplorer : "Pourquoi les femmes ne peuvent elles se passer des hommes ?" Elle relie deux mondes et ce don est effectivement plus de l'ordre de la grâce que d'une connivence diabolique...
Maryse Condé nous invite à relire l'histoire sous un angle plus humain et à nous révolter contre le sort réservé aux noirs et, plus largement, à tous ceux qui menacent l'équilibre des forces au pouvoir...
"Dés le départ, toute notre histoire prend racine dans la terre à chimères."
Dans la famille Ezechiel, la jeune nièce guadeloupéenne vivant en métropole s'interroge sur ses origines. Elle décide alors de se tourner vers sa tante Antoine, la plus indomptable de la fratrie, pour qu'elle lui livre son histoire antillaise. L'histoire familiale revit alors sous les mots d'Antoine, mais aussi sous ceux de Lucinde et Petit-frère, la soeur et le frère d'Antoine. A travers leurs récits, la narratrice découvre ce bourg particulier de Morne-galant, surnommé "Là où les chiens aboient par la queue" d'où vient sa famille.
Ce premier roman chatoyant évoque la Guadeloupe dans les années 40, au travers de l'enfance dans la campagne de cette Antoine fascinante, puis la découverte de Pointe-à-Pitre, le commerce dans les mers des Caraïbes, pour finalement choisir l'exil à Paris au pied du Sacré-Coeur.
"Je suis restée plantée au milieu de la rue. En continuant d'approcher, il m'a lancé : " T'es Noire ou t'es Blanche , toi ? "
Je n'ai pas tout de suite compris ce qu'il voulait. "Qu'est-ce que tu veux que je te réponde ?" Il a répété sa question en tendant vers moi un doigt menaçant. Ma vie dépendait peut-être de ce que j'allais dire. Toutes ces histoires de négritude qu'on entendait , que Césaire et Senghor poétisaient admirablement et qui fascinaient les jeunes, ça m'avait toujours laissée indifférente.
Je me considérais comme une femme, ça oui, et comme une guadeloupéenne, c'est-à-dire une sang-mélangé, comme eux tous, debout sur un confetti où tout le monde venait d'ailleurs et n'avait gardé qu'un peu de sang des Caraïbes, les tout premiers habitants. Ça m'éloignait définitivement de toute idée de grandeur et de pureté. Ma fierté, c'était le chemin que je menais dans la vie et que je ne devais qu'à moi-même. (p. 234)
En France, Antoine découvre aussi le racisme : " Je dirais qu’en métropole, nous sommes devenus noirs vers 1980, à partir du moment où avoir du boulot n’est plus allé de soi. Avant ça, le plein-emploi et la jeunesse soudaient les gens, ceux qui n’avaient pas grand chose, dans une même vigueur et des rêves communs. Bien sûr que le racisme existait, mais pas suffisamment pour gâcher la fête."
Les autres voix qui se font entendre contre-balancent les avis quelquefois tranchés de cette tante au caractère bien trempé, offrant ainsi le destin de toute une génération d’Antillais pris entre deux mondes qui scintille sous les mots limpides de l'auteur.
Guadeloupéenne qui a vécu à Paris, New York et en Guadeloupe, Maryse Condé évoque ici ses souvenirs liés à la cuisine. En effet, si sa passion la porte vers la littérature, la cuisine a toujours fait partie intégrante de sa vie, n'en déplaise à ceux qui pensent que les intellectuels ne doivent pas se mêler de cuisine. Et pourtant, quelle joie pour elle de se laisser enivrer par les épices et les odeurs, par les saveurs incomparables du flan koko et du colombo de cabri, et quel plaisir de créer de nouveaux plats, s'enrichissant au fur et à mesure des cultures rencontrées.
"La cuisine d'un pays traduit le caractère de ses habitants et transfigure l'imagination. Visiter un supermarché est aussi instructif que parcourir un musée ou une salle d'exposition."
Ce que nous prouve Maryse Condé à travers ces textes, c'est que la cuisine est un art à part entière, ce que son âme d'artiste a tout de suite senti. Par la capacité à s'approprier les recettes, les cultures, pour créer un plat succulent qui ravit les papilles de ses invités, la cuisine s'apparente réellement à une œuvre d'art.
Ce recueil placé sous l'égide de la culture culinaire, permet à l'auteure de revenir sur ses diverses expériences à travers le monde. Invitée à travers le monde pour des conférences, des festivals littéraires - pas tous très réussis- sa vie est centrée sur les rencontres et l'échange. Elle ne gomme pas les moments douloureux, le deuil difficile de sa mère, sa brouille avec son fils, sa propre maladie dégénérative, tout en s'interrogeant sur la notion de culture, et notamment sur son identité afro américaine.
Après avoir parcouru le monde, l'auteure est invitée à Ouessant, aux confins de la France : "Ouessant demeure un de mes souvenirs les plus agréables. L'île me donna une leçon. Il n'est pas besoin de voyager très loin, de se recroqueviller pendant des heures dans un avion pour découvrir l'originalité. Cette petite terre, distante d'un jet de pierre des côtes de la France, possédait une personnalité singulière et attachante. (...) après moult réflexions j'en vins à la conclusion qu'il faut de l'oppression et donc de la rébellion pour créer une culture authentique"
Finalement dans ce savoureux Mets et merveilles, il ne s'agit pas de gourmandise, mais d'amour du goût.
"Nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force, tous les habitants, les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle."
Ce que j'ai aimé :
A l'ombre de sa case, la vieille Délira sent planer la misère au-dessus d'elle. Une sécheresse dévastatrice désespère les habitants affamés de son petit village de Fonds Rouge en Haïti. Délira espère juste le retour de Manuel, son fils parti à Cuba couper la canne à sucre il y a plusieurs années de cela.
Quand Manuel revient, il ne reconnaît plus son village, enlisé dans la résignation, dans les rivalités claniques et fort de son expérience cubaine, décide de lutter contre l'enlisement ambiant, contre la sécheresse, contre la pauvreté en rassemblant les hommes :
"C'est traître la résignation ; c'est du pareil au même que le découragement. Ca vous casse les bras ; on attend les miracles de la Providence, chapelet en main, sans rien faire. On prie pour la pluie, on prie pour la récolte, on dit les oraisons des saints et des loa. Mais la Providence, laisse-moi te dire, c'est le propre vouloir du nègre de ne pas accepter le malheur, de dompter chaque jour la mauvaise volonté de la terre, de soumettre le caprice de l'eau à ses besoins ; alors la terre l'appelle : cher maître, et l'eau appelle : cher maître, et il n'y a pas d'autre Providence que son travail d'habitant sérieux, d'autre miracle que le fruit de ses mains."
Il part à la recherche de l'eau et rencontre en chemin la belle Anaïse, tous deux synonyme de rédemption :
"L'eau. Son sillage ensoleillé dans la plaine ; son clapotis dans le canal du jardin, son bruissement lorsque dans sa course, elle rencontre des chevelures d'herbes ; le reflet délayé du ciel mêlé à l'image fuyante des roseaux ; les négresses remplissant à la source leurs calebasses ruisselantes et leurs cruches d'argile rouge ; le chant des lessiveuses ; les terres gorgées, les hautes récoltes mûrissantes."
Jacques Roumain clame ici un magnifique chant d'amour, amour de ses semblables, amour de son pays, amour de la lutte, amour de l'espoir qui palpite en nous.
"Ce que nous sommes ? Si c'est une question, je vais te répondre : eh bien, nous sommes ce pays et il n'est rien sans nous, rien du tout. Qui est-ce qui plante, qui est-ce qui arrose, qui est-ce qui récolte ? le café, le coton, le riz, la canne, le cacao, le maïs, les bananes, les vivres, et tous les fruits, si ce n'est pas nous, qui les fera pousser ? Et avec ça nous sommes pauvres, c'est vrai. Mais sais-tu pourquoi, frère ? A cause de notre ignorance : nous ne savons pas encore que nous sommes une force, une seule force, tous les habitants, les nègres des plaines et des mornes réunis. Un jour, quand nous aurons compris cette vérité, nous nous lèverons d'un point à l'autre du pays et nous ferons l'assemblée générale des gouverneurs de la rosée, le grand coumbite des travailleurs de la terre pour défricher la misère et planter la vie nouvelle."
Cet auteur hors du commun écrivit ce texte en 1944 :
"Président fondateur de la Ligue de la Jeunesse patriotique, Président d'honneur de la Fédération des Jeunesses haïtiennes, dirigeant du Comité de Grève qui sonna le glas de l'occupation et de la dictature de Borno, Jacques Roumain marchait à la tête de toutes les manifestations et participait à l'action directe des masses."
"Les peuples sont des arbres qui fleurissent malgré la mauvaise saison, à la belle saison notre arbre continue à vivre. Un peuple qui vient de produire un Jacques Roumain ne peut pas mourir. Roumain est une immortelle qui fertilise nos ramures par son amour universel. Tous les grands Haïtiens qui fleuriront désormais sur notre sol ne pourront pas ne pas lui devoir quelque chose." (Jacques Stéphen Alexis)
"Nous mourrons tous... - et elle plonge sa main dans la poussière ; la vieille Délira Délivrance dit : nous mourrons tous : les bêtes, les plantes, les chrétiens vivants, ô Jésus-Marie la Saint Vierge ; et la poussière coule entre ses doigts. La même poussière que le vent rabat d'une haleine sèche sur le champ dévasté de petit-mil sur la haute barrière de cactus rongés de vert-de-gris, sur les arbres,ces bayahondes rouillés."
« C’est cela la vraie définition du courage : ne pas renoncer à vivre ce qu’on est de la manière la plus élevée, à être tout ce qu’on est de la manière la plus décente. » (p. 89)
L’auteur :
Écrivain majeur de la littérature française contemporaine, prix Goncourt 1992 pour Texaco, Patrick Chamoiseau est l'auteur d'une vingtaine d’ouvrages dont Chronique des sept misères ( 1986) ou encore Les neuf consciences du Malfini (2009). (Présentation de l’éditeur)
L’histoire :
« C'est une soirée très ordinaire, dans un coin de la ville. Les papillons sont là. Ils tourbillonnent autour des lampadaires. Comme la lune est absente, les ampoules électriques s'emparent de l’idée de lumière : ils apparaissent alors mille fois plus fascinants. Les papillons s’en exaltent, s’en approchent, et en reviennent parfois. Le plus souvent, ils s’y brûlent les ailes. L’hécatombe est massive. Des centaines de dépouilles gisent au pied des pylônes.
Les survivants tourbillonnent encore autour des lampadaires, mais ils ont les ailes plus ou moins estropiées. Rares sont ceux qui n’arborent pas quelque chose d’abîmé. Pour les papillons de nuit, l’aile délabrée est l’emblème du courage : le signe d’un début d’expérience du grand secret de la lumière. »
Un jeune papillon se tient à l’écart des réverbères et préserve sa vie. Mais il sent bien qu’une expérience fondamentale lui échappe. Il s’en ouvre à un vieux papillon, lui aussi aux ailes intactes. Ce dernier n’en est pas forcément plus heureux et semble éluder ses questions, avant de l’entraîner dans un voyage initiatique à travers la ville, dans la nuit d’abord, puis au lever du jour vers le soleil.
Ce conte philosophique, délicatement illustré par les dessins à l’encre de Chine d’Ianna Andréadis, mène le jeune papillon (et le lecteur avec lui) vers la résolution de la lancinante énigme de toute existence : quel est le sens d’une vie où l’on ne se met pas en danger ? (Présentation de l’éditeur)
Ce que j’ai aimé :
Accompagner le vol de ces papillons de nuit permet d'accéder à un monde spirituel dense, riche en questionnements philosophiques incessants. Le jeune papillon ne veut pas se contenter de vivre comme les autres et risquer de se brûler les ailes aux lumières artificielles si attirantes, il préfère comprendre, réfléchir et non pas subir. Dans sa quête de la vérité, le vieux papillon va le guider, non pas en lui offrant des réponses formatées, mais en le menant vers sa propre vérité, vers son être unique et irremplaçable, vers ce qu’il est réellement. Il va le faire accoucher de lui-même comme Socrate avec ses disciples. Et peut-être qu’alors, il pourra frôler du bout des ailes la beauté…
Patrick Chamoiseau nous offre un récit original au charme indéniable, un récit nourri d’aphorismes qui pourront mener le lecteur à son tour vers sa propre lumière…
« Je n’attends rien ni personne. C’est pourquoi je ne suis jamais surpris de ce qui arrive. (…) Attendre quelque chose, s’attendre à quelque chose, soupire le vieux, n’est-ce pas fermer la porte à tout ce que l’on n’attend pas : à tous les autres possibles ? » (p. 22)
« Les croyances sont des petites traces de fortune qui permettent de conjurer l’abîme et de se donner l’impression d’avancer… » (p.24)
« La vieillesse est le lieu de l’ultime connaissance. (…) c’est elle qui permet de de donner du sens à ce que l’on a réussi, mais aussi et surtout à tout ce que l’on a raté, tout ce que l’on a jusqu’alors été incapable d’oser, de tenter ou bien d’imaginer. C’est donc le seul moyen de vivre non pas longtemps mais…complètement. » (p. 48)
Ce que j’ai moins aimé :
-Rien
Premières phrases :
« Chaque nuit, dans les villes, sur les routes, ensorcelés par les lumières artificielles, des millions d’insectes s’écrasent contre les ampoules brûlantes.
Des contes qui éclairent l’œuvre de Maryse Condé ainsi que sa personnalité.
L’auteur :
Maryse CONDE est une écrivaine guadeloupéenne. Elle est enseignante et journaliste. Son roman le plus connu est Ségou. Elle a obtenu de nombreux prix pour ses romans qui souvent traitent des thèmes liés à l’Afrique, et à la question de l’identité noire.
L’histoire :
Maryse Condé nous livre ici quelques scènes marquantes de son enfance en Guadeloupe dans les années 50. C’est une enfant rebelle qui se dessine, une enfant qui essaie de comprendre le monde qui l’entoure mais ne possède pas encore toutes les clés.
Aussi, elle cherche souvent des réponses auprès de son frère Sandrino qui lui délivre un jour cette phrase énigmatique « Papa et Maman sont une paire d’aliénés ». Ces parents sont en effet bien plus empreints de culture occidentale que antillaise, et c’est cette culture uniquement qui est inculquée aux enfants si bien que quelques années plus tard, quand un professeur demande à Maryse un exposé sur un écrivain de son pays, elle doit encore une fois se tourner vers Sandrino pour découvrir l’écrivain en question.
Ce que j’ai aimé :
-La question racialequi est au cœur de ces contes : l’enfant Maryse à peine consciente de sa couleur de peau, semble perdue face à ces subtilités d’adulte. Mille petits détails lui feront comprendre son erreur. Cette éclosion de sa lucidité est décrite par touches subtiles et évocatrices.
-Le deuxième aspect principal de ces contes concernela famille de Maryse, et surtoutses rapports passionnels avec cette mèrequ’elle aime tant, mais qui ne sait être à la hauteur de l’affection que son enfant lui porte. Cette mère qui aime répéter que Maryse n’est bonne à rien mais dont Maryse veut garder un souvenir heureux, comme celui de cette nuit qui les aura réuni pour quelques instants :
« Je glissai la main entre ses seins qui avaient allaité huit enfants, à présent inutiles, flétris, et je passai toute la nuit, elle agrippée à moi, moi roulée en boule contre son flanc, dans son odeur d’âge et d’arnica, dans sa chaleur. C’est cette étreinte-là dont je veux garde le souvenir. »
-Enfin Maryse évoque brièvementson rapport à l’écriture, son amour pour l’imaginaire, ses « rêveries éveillées » qui l’amèneront vers le roman.
Ce que j’ai moins aimé :
-Certains chapitres m’ont moins plu que d’autres, mais l’ensemble sauve les détails…
Premières phrases :
« Si quelqu’un avait demandé à mes parents leur opinion sur la Deuxième Guerre mondiale, ils auraient répondu sans hésiter que c’était la période la plus sombre qu’ils aient jamais connue. Non pas à cause de la France coupée en deux, des camps de Drancy ou d’Auschwitz, de l’extermination de six millions de Juifs, ni de tous ces crimes contre l’humanité qui n’ont pas fini d’être payés, mais parce que pendant sept interminables années, ils avaient été privés de ce qui comptait le plus pour eux : leurs voyages en France. »
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