L'usage du monde de Nicolas BOUVIER
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Eté 1953 Nicolas Bouvier, un jeune homme de 24 ans décide de quitter Genève et son université pour se lancer dans un voyage aux confins de la Turquie. Il vise la Turquie, l'Iran, Kaboul puis la frontière avec l'Inde. Il est accompagné dans son périple par Thierry Vernet, un ami dessinateur. Durant six mois les deux amis parcourent les Balkans, l'Anatolie, l'Iran puis l'Afghanistan à la rencontre des populations. Pour pourvoir à leurs besoins en gagnant l'argent nécessaire, Nicolas Bouvier écrit des articles, fait des conférences ou donne des cours, tandis que son acolyte vend ses peintures.
La population les accueille souvent avec plaisir et ils partagent ainsi des moments conviviaux marquants :
"Le temps passe en thés brûlants, en propos rares, en cigarettes, puis l'aube se lève, s'étend, les cailles et les perdrix s'en mêlent ... et on s'empresse de couler cet instant souverain comme un corps mort au fond de sa mémoire, où on ira le rechercher un jour. On s'étire, on fait quelques pas, pesant moins d'un kilo, et le mot "bonheur" paraît bien maigre et particulier pour décrire ce qui vous arrive.
Finalement, ce qui constitue l'ossature de l'existence,ce n'est ni la famille, ni la carrière, ni ce que d'autres diront ou penseront de vous, mais quelques instants de cette nature, soulevés par une lévitation plus sereine encore que celle de l'amour, et que la vie nous distribue avec une parcimonie à la mesure de notre faible coeur."
Leur périple est aussi l'occasion de connaitre des situations cocasses : un jour par exemple, alors qu'il photographie une mosquée, Nicolas Bouvier sent quelque chose qui se presse contre sa joue, "J'ai pensé à un âne - il y en a beaucoup ici, et familles, qui vous fourent le museau sous l'aisselle - et j'ai tranquillement pris ma photo. Mais c'était un vieux paysan venu sur la pointe des pieds coller sa joue contre la mienne pour faire rire quelques copains de soixante-dix-quatre-vingts ans. Il est reparti, plié en deux par sa farce ; il en avait pour la journée." Une autre fois, lors d'une promenade ils entendent des chocs répétés. Ils arrêtent la voiture pensant à un souci mécanique, mais le bruit ne cesse pas. "On alla voir derrière le talus qui borde un côté de la piste, la plaine était noire de tortues qui se livraient à leurs amours d'automne en entrechoquant leur carapace."
Les jeunes hommes ne sont pas épargnés par les aléas liés aux voyages, le froid mordant, la faim, les maladies, mais ces mauvaises expériences donnent d'autant plus de valeur aux détails qui suivent : un repas frugal constitué de pain chaud, de fromage de brebis et d'un thé se savoure avec délectation.
Ce récit qui serpente doucement sur les pistes installe doucement le lecteur dans un champ hors-temps, loin des contingences quotidiennes, à la rencontre d'êtres uniques qui livrent leurs expériences et leur culture avec bienveillance et tendresse. Un beau récit aux pages lyriques poignantes !
Présentation de l'éditeur : Editions La Découverte
L'usage du monde, Nicolas Bouvier, Dessins de Thierry Vernet, Editions La découverte, mars 2014, 432 p., 11 euros
Lu dans le cadre du Blogoclub organisé par Amandine et Florence et consacré aujourd'hui aux récits de voyage. Le livre retenu était Dans les forêts de Sibérie de Sylvain TESSON, que j'avais déjà lu.