"Pour connaître le vrai bonheur, dit quelqu'un quelque part, il faut voyager dans un pays lointain, et même hors de soi-même." p 111
Dans Les Cygnes sauvages, Kenneth White nous conte le récit d’un voyage qu’il effectua pour atteindre le Nord rugueux et sauvage du Japon : Hokkaidô, ses ports et ses montagnes. Il marche sur les traces du poète Matsuo Basho qui quitta Edo pour le Nord au printemps de 1689. Kenneth White accomplit un hommage au poète japonais, un "voyage haïku".
Kenneth White se concentre sur l'expérience de ses sens, traquant le plaisir du minuscule, se délectant de bonheurs immédiats comme boire du saké au bord d'un torrent, les pieds dans l'eau, ou encore écouter le silence, regarder la lumière, être là, simplement, offert au monde et à sa beauté.
"Voir naître à l'aube les ruisseaux juste posés sur le moutonnement des pelouses. Les revoir à l'heure du serein, gardant longtemps leur lumière." p 98
Mû par une volonté de s'émerveiller, l'auteur décide de remonter les rivières vers la source sur l'Aubrac et la Margeride. Sa promenade semble être celle d'un pêcheur mais l'auteur s'intéresse avant tout aux cours d'eau, il s'émerveille d'un rien et redécouvre l'enchantement de la terre.
Il prend son temps sur son chemin, pêche des truites, dérange les grenouilles, observe un cincle plongeur, fuit une vipère ou admire une bergeronnette des ruisseaux. Attentif à ce qui l'entoure, il médite sur sa place dans la nature.
"Il n'y a pas de "retour à la Nature" possible - où Nature est toujours supposée plus ou moins vierge ou originelle - mais un chemin vers une harmonie entre l'activité humaine et l'activité animale, minérale, végétale, aquatique ... dans le renoncement à tout dominer, asservir, retailler, redresser..." p 84
Quel ravissement que cette remontée des rivières de la montagne lozérienne !
« Partout, il y avait trop de bruit, trop de discours. Un jour, j’en ai eu marre de cette frénésie et je suis parti. Certains vont chercher le bonheur en Alaska ou en Sibérie, moi je suis un aventurier de la France cantonale : je lorgne du côté d’Aubusson, du puy Mary et du plateau de Millevaches… »
Un jeune aspirant jésuite décide de prendre le chemin des estives à travers le Massif Central pour "retrouver ce qu'il y a d'immense et de divin en chacun de nous et m'immerger dans ces paysages."
En effet, il choisit cette région pour ses paysages désertiques, pour se couper du vacarme ambiant et s'alléger : "Il y a une vocation mystique du Massif Central, dis-je à Parsac. Ces terres attisent le feu intérieur. Elles ouvrent des avenues profondes vers ce qu'il y a d'immense en nous."
Sans le moindre sou en poche il "prend la tangente comme on prend le maquis" accompagné d'un compagnon Benoît, un novice qu'il n'a pas choisi, plaçant son chemin dans les pas de deux figures tutélaires, Arthur Rimbaud et Charles de Foucauld "des êtres qui quittent leur pays et partent pérégriner dans des terres inconnues, attirés par l'exploration de l'autre." A travers ses rencontres, il cherche un sens à ses choix car, comme le dit Cioran, "N'a de convictions que celui qui n'a rien approfondi."
Il frappe aux portes qui veulent bien l'accueillir pour la nuit et évoque les conversations qui s'étirent, comme des "concentrés de vie", l'essentiel qui se dit en fin de soirée, car "Tout être cherche à dire ce qu'il souffre." Il constate la vie sans goût de beaucoup de ces personnes croisées, qui souffrent de solitude, de dépression dans un monde matériel absurde.
"Dans son Journal, Thoreau délivre ce conseil : "N'allez pas à l'objet, laissez-le venir à vous." Il a raison. Lorsqu'on se vide de toute convoitise, de toute avidité de saisie, qu'on laisse les choses être, les yeux flâner, et qu'on n'oppose plus au paysage notre poussée personnelle, alors ces choses viennent à nous et exhalent leur secret, leur intériorité."
Au fil de ses rencontres, il apprend à être réceptif aux choses qui l'entourent, à accepter les choses qui arrivent sans qu'on les attende.
"Allons droit devant, tendus vers l'invisible. En continuant d'espérer, malgré le désespoir et les peines, que nous sommes faits pour la fête et la joie sans ombre, et que la terre promise est devant nous."
Le aye aye est un lémurien minuscule qui vit en toutes petites colonies à Madagasar. Au début des années 90 Gerald Durrell monte une expédition à Madagascar pour capturer quelques aye-aye et les ramener dans son zoo à Jersey pour les préserver. Il raconte ici avec humour cette aventure si particulière. Il fait bien sûr d'autres rencontres comme le propithèque de Cocquerel, le requin marteau avec qui il se retrouve nez à nez, mais aussi des canards et des tortues.
Gerald Durrel œuvrait pour la sauvegarde des espèces menacées et ses trois fondations continuent aujourd’hui son travail : "Les animaux, disait-il, sont la grande majorité mais ils ne votent pas et ne peuvent pas faire entendre leur voix. Ils ne peuvent survivre sans notre aide."
Le ton décalé humoristique est agréable, même si ce petit livre est moins jubilatoire que la trilogie de Corfou que je vous conseille vivement !
"Ma cabane, quelques planches dans le bois. Un petit prisme rectangulaire. Une boîte de Pandore. Je n'ai jamais vu les choses aussi clairement. "
Anouk décide de se retirer de la société de consommation et de la société des hommes pour quelques temps. Elle choisit une cabane au Kamouraska, inspirée par Anne Hébert et son roman, et passe l'hiver là-bas, racontant ses journées dans son carnet de bord. Elle apprend peu à peu à se retrouver seule face à elle-même, et seule face à la nature. Elle écoute les coyotes qui rôdent, essaie de s'adapter à la neige qui tombe abruptement durant ce rude hiver, surveille son poêle, établit des listes :
"Liste n° 120
Choses que j'aimerais conserver en pots:
- Le chant des baleines à bosses
- L'odeur de la croustade aux pommes
- Des lucioles immortelles pour nos noces
- L'odeur de nos draps après cette nuit
- Une mèche de tes cheveux
- La couleur de ce matin "
Elle finira même par rompre sa solitude en accueillant dans sa cabane une âme perdue...
« Les plus belles saisons de ma vie ont commencé ici, à créer en ce lieu un îlot propre à mes valeurs. Simplicité, autonomie, respect de la nature. le temps de méditer sur ce qui compte vraiment. le temps que la symphonie des prédateurs, la nuit, laisse place à l'émerveillement ».
L'auteure a elle-même vécu dans une cabane pendant trois ans, et elle s'est inspirée de cette expérience pour écrire. Elle raconte :
"Tout ce que je voulais c’était être maître de ma vie, être dans la nature, marcher pendant des heures, rencontrer des animaux et dessiner des flocons de neige. Ce désir de m’arracher au moule avait quelque chose d’enfantin, mais en fait, cela m’a permis de plonger dans ma propre vie d’adulte et de définir mon propre avenir, et cela passait par la nature et les arts." (entretien avec France Culture)
Militante pour la cause environnementale, elle entremêle savamment réflexions philosophiques sur la sagesse d'une vie loin d'une société souvent aliénante, et considérations écologistes pour sauver cette nature tellement régénératrice.
"Tout est question d'équilibre. J'ai avancé comme un funambule sur ma ligne de vie"
En 2007 Mike Horn se lance un pari fou : gravir avec trois amis les quatre 8000 de suite dans l'Himalaya : le Gasherbrum I et II, Broad Peak et K2, ceci sans oxygène et sans cordes. En relatant cette ascension, Mike Horn en profite pour raconter son parcours, du temps où son père l'autorisait à aller où il voulait à la condition qu'il rentre à 18h, aux aventures les plus folles, Latitude zéro, ou 20000 km autour du cercle polaire arctique. Accompagné à distance de sa femme, sa croix du Sud et d'une volonté sans failles, il se heurte aux obstacles pour mieux grandir, parce qu'il porte cet élan vers la liberté en lui.
"Ces dernières années, j'ai parcouru l'Himalaya, j'ai tracé ma route au large de la Somalie, j'ai senti le vent du désert et la présence des talibans, j'ai vu mourir des amis en haute montagne. J'ai eu des hauts et des bas. Des hauts magnifiques et des bas terribles. Mais j'ai gardé le cap. Pour continuer à ressentir ces émotions irremplaçables. Explorer les coins les plus inaccessibles de la planète. Et transmettre aussi aux plus jeunes le goût de la liberté. Cette liberté qui offre un espace infini à la vie."
Il vit au bord du précipice, arpentant "la zone de mort", cette zone située au dessus de 7600 mètres dans laquelle l'être humain doit rester le moins possible, et risque de mourir en quelques minutes. La mort guette à tout moment ceux qui cherchent à se mesurer à cette montagne sauvage et envoutante. Il faut aussi apprendre à renoncer quelquefois face à elle, en écoutant son corps et son instinct. Une personne sur 4 ne revient pas de l'ascension mythique du K2. Les fenêtres météorologiques sont étroites pour tenter l'aventure, et aujourd'hui encore, malgré plusieurs tentatives, le K2 résiste encore à Mike Horn... La nature a toujours le dernier mot.
A travers ce récit, cet homme hors du commun nous offre une formidable leçon de vie, tout en grandeur et simplicité :
" Mais l'homme ne doit jamais se sentir plus grand que la vie. Rester humble, vivre simplement, avoir du respect en toutes circonstances, c'est la manière la plus facile d'affronter les problèmes au quotidien. C'est dans la simplicité qu'on trouve les solutions. Comme mon père me l'a toujours dit, et comme je le répète aujourd'hui à mes filles : il faut garder les pieds sur terre pour pouvoir toucher les étoiles."
Le plus : les photographies qui permettent d'illustrer le parcours de cet aventurier de l'extrême !
Un beau matin, l'écrivain Antoine Choplin prend la route, non pas sur le chemin de Compostelle, ni sur celui de Stevenson, non, il décide plutôt de parcourir sa propre région l'Isère pour remonter aux sources du fleuve, jusqu'au coeur du massif des Alpes, à plus de 2600 mètres. A contre courant, il remonte le fleuve, arpentant des lieux familiers.
Ce que j'ai moins aimé :
Alors que j'aime beaucoup cet auteur, et que j'apprécie également les récits de voyageurs, j'avoue avoir un avis mitigé sur celui-ci. Les paysages ne m'ont pas fait rêver, le sel des rencontres m'a échappé, et je suis finalement plus ou moins passée à côté de ce récit paradoxalement très statique.
"Vénérer ce qui se tient devant nous. Ne rien attendre. se souvenir beaucoup. Se garder des espérances, fumées au-dessus des ruines. Jouir de ce qui s'offre. Chercher les symboles et croire la poésie plus solide que la foi. Se contenter du monde. Lutter pour qu'il demeure."
Quand Vincent Munier, photographe animalier et aventurier, propose à Sylvain Tesson de partir au Tibet à la recherche de la panthère des neiges, celui-ci n'hésite pas une seconde. Accompagnés de Marie, la compagne de Vincent Munier et Léo, son aide de camp, l'équipe se lance sur les traces de cet animal mythique. Pour avoir une chance de l'apercevoir, l'auteur apprend à se poser, à s'arrêter, redécouvrant la vertu du regard et de la patience. Il contemple, loin de l'agitation du monde qui nous happe et nous aliène bien souvent, à l'affût...
"L'affût était une prière. En regardant l'animal, on faisait comme les mystiques : on saluait le souvenir primal. L'art aussi servait à cela : recoller les débris de l'absolu." p. 48
"Attendre était une prière. Quelque chose venait. Et si rien ne venait, c'était que nous n'avions pas su regarder." p. 142
"Nous étions nombreux, dans les grottes et dans les villes, à ne pas désirer un monde augmenté, mais un monde célébré dans son juste partage, patrie de sa seule gloire. Une montagne, un ciel affolé de lumière, des chasses de nuages et un yack sur l'arête : tout était disposé, suffisant. Ce qui ne se voyait pas était susceptible de surgir. Ce qui ne surgissait pas avait su se cacher. " p. 125
Derrière ses considérations, l'auteur nous enjoint aussi à demeurer attentifs à notre planète et à la disparition de certaines espèces, puisque, comme il le dit si bien :
"La Terre avait été un musée sublime. Par malheur, l'homme n'était pas conservateur."
Ce que j'ai moins aimé :
Toujours très bavard, ce qui est paradoxal dans un environnement silencieux comme celui qu'il décrit.
Bilan :
Pour moi, ce livre aura eu l'avantage de mettre en lumière le travail de Vincent Munier, qui offre des photographies animalières à couper le souffle, de ces oeuvres qui éveillent à la beauté du vivant. Sans grand discours.
« J’ai fini par y aller vraiment, dans l’Himalaya. Non pour escalader les sommets, comme j’en rêvais enfant, mais pour explorer les vallées. Je voulais voir si, quelque part sur terre, il existait encore une montagne intègre, la voir de mes yeux avant qu’elle ne disparaisse. J’ai quitté les Alpes abandonnées et urbanisées et j’ai atterri dans le coin le plus reculé du Népal, un petit Tibet qui survit à l’ombre du grand, aujourd’hui perdu. J’ai parcouru 300 kilomètres à pied et franchi huit cols à plus de 5 000 mètres, sans atteindre aucun sommet. J’avais, pour me tenir compagnie, un livre culte, un chien rencontré sur la route, des amis : au retour, il me restait les amis. »
Accompagné de deux de ses amis et du Léopard des Neiges de Matthiessen, Paolo Cognetti se rend donc aux confins de l'Himalaya, non pas pour en faire l'ascension -ce que je n'avais pas compris durant ma lecture parce que je n'avais pas lu la quatrième de couverture, m'étant arrêté à ma tendresse pour l'auteur pour choisir son livre - mais pour explorer les vallées. Il rencontre la population, lutte contre son mal de montagnes, partage une tablette de chocolat avec son guide en regardant l'horizon, croise des moutons bleus, cueille des edelweiss à 4700 m d'altitude, avec toujours en toile de fond sa lecture de Matthiessen.
Dans ce récit Paolo Cognetti chante surtout son amour inconditionnel pour la montagne et le rapport fort qui les relie :
Son récit est émaillé de quelques dessins crayonnés au gré de son ascension :
Ce que j'ai moins aimé : J'ai trouvé ce récit moins abouti que Les huit montagnes.
Photo prise le 22 mai et fournie par le Project Possible de l'alpiniste Nirmal Purja montrant la file d'attente au sommet de l'Everest.Photo Handout. AFP
Bilan : Trop court et décousu pour que je sois totalement sous le charme, même si j'ai apprécié retrouver la personnalité simple et attachante de Paolo Cognetti.
"On devrait toujours répondre à l'invitation des cartes, croire à leur promesse, traverser le pays et se tenir quelques minutes au bout du territoire pour clore les mauvais chapitres." p. 100
Dans la nuit du 21 au 22 août 2014, Sylvain Tesson fait une chute qui aurait pu s'avérer mortelle. Il tombe du toit d'un chalet de montagne qu'il avait décidé d'escalader sur un coup de tête festif. S'ensuivent plusieurs mois de coma, une lutte contre la mort qui laissera indubitablement des séquelles. Durant sa convalescence, il forme le projet de traverser la France à pied, du Mercantour au Cotentin, en diagonale, traversée qu'il débute en août 2015 et qu'il achève début novembre.
Il décide d'emprunter les chemins noirs, ces minces traits sur la carte qui sont comme des chemins de traverse, des issues de secours, parce que "Vivre me semblait le synonyme de "s'échapper"" Les cartes IGN sont pour lui comme un sésame, "Les feuilles révélaient l'existence de contre-allées, inconnues, au coeur de la citadelle, de portes dérobées, d'escaliers de service où disparaître.", les chemins noirs ouvrant des portes pour l'imagination.
Porté par la marche, l'auteur se sépare peu à peu des scories du monde, sur les chemins noirs "Les nouvelles y étaient charmantes, presque indétectables, difficiles à moissonner : une effraie avait fait un nid dans la charpente d'un moulin, un faucon faisait feu sur le quartier général d'un rongeur, un orvet dansait entre les racines. Des choses comme cela. Elles avaient leur importance. Elles étaient négligées par le dispositif." Loin des écrans dont l'homme devient esclave, le monde revient en fanfare dans toute sa beauté lumineuse.
Passionné par les formules de repli, Sylvain Tesson tente ici une nouvelle forme de solitude, une solitude en marche. Pour lui, si ceux qui se jettent dans le monde sont louables, souvent ils finissent par manifester une satisfaction d'eux-mêmes assez détestable :
"Quitte à considérer la vie comme un escalier, je préférais les gardiens de phare qui raclaient les marches à pas lents pour regagner leurs tourelles aux danseuses de revue qui les descendaient dans des explosions de plumes afin de moissonner les acclamations." p. 81
Sa solitude n'est jamais totale toutefois, il se fait accompagner quelques jours par des amis, Thomas Goisque ou encore Cédric Gras. Il convoque aussi des écrivains en son esprit, parce que "Les phrases sont des prescriptions pour les temps difficiles." Il s'allonge pour observer les nuages, profite de chaque seconde, et peu à peu son corps meurtri par la chute se reconstruit.
"Assis sur l'herbe dans la volute d'un cigarillo, je disposais au moins du pouvoir d'oublier les écrans et de m'hypnotiser plutôt du vol des vautours par-dessus les ancolies." p. 26
Sa conclusion résonnera longtemps en nos esprits, comme une invitation à sortir des sentiers battus :
"Une seule chose était acquise, on pouvait encore partir droit devant soi et battre la nature. Il y avait encore des vallons où s'engouffrer le jour sans personne pour indiquer la direction à prendre, et on pouvait couronner ces heures de plein vent par des nuits dans des replis grandioses.
Il fallait les chercher, il existait des interstices.