"J’ai vu une enfance violentée rêver devant un amandier en fleurs.
J’ai vu un homme emprisonné retrouver souffle à la lecture d’un poème.
J’ai vu le ciel déverser des tonnes d’azur sur nos morts.
J’ai vu la neige brûler moins que les larmes.
J’ai vu le soleil consoler un coquelicot, et réciproquement.
J’ai vu un arc-en-ciel en cavale sous l’orage.
J’ai vu un ange noir chanter sous les étoiles.
Et je n’ai trouvé qu’un mot pour dire cela qui transcende le chaos, l’éphémère et la joie mêlés de nos vies : LA BEAUTÉ.
J’entends Aragon, immortalisé par Ferré : Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses. J’entends Eluard : J’ai la beauté facile, et c’est heureux. J’entends Char bien sûr : Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté. Mais aussi ces innombrables voix de poètes qui ne cessent d’extraire la beauté ensauvagée du monde.
Et comme pour donner raison à ce thème du Printemps des Poètes, Enki Bilal accepte d’en signer l’affiche tandis qu’un faon traverse la tempête à l’instant sous mes yeux."
"C'est un soir calme et libre, et d'infinie beauté,
L'heure sacrée est muette comme une nonne
Eperdue d'adoration; l'astre rayonne,
Epanoui, sombrant dans sa tranquillité."
Tel Chateaubriand aimant se réfugier au sein d'une nature consolante, Wordsworth a laissé sa marque dans la littérature romantique européenne. Au gré de ses promenades le poète glane des beautés éphémères, s'émerveille devant le monde et la nature qui l'entoure. Il s'émerveille devant un papillon, une jonquille, et chante la vie simple, le réconfort dans la nature, dans sa région duLake District.
"Un langage fidèle à la chose observée, mais libre de liens trop naturalistes, trop prosaïques, vivifie, magnifie, tout en lui gardant silhouette et lignes précises, voire en la canalisant, l'émotion toujours fraiche qu'il éprouve devant l'inépuisable beauté du monde." Préface de François-René Daillie
Néanmoins, il se démarque des romantiques en ne semblant pas souffrir du "mal du siècle." Au contraire, ses sonnets chantent la joie de vivre :
"Comme il est doux, quand la fantaisie à son gré
Berce l'esprit rétif, de flâner dans les bois !
Un lien ancien, rempli d'oiseaux aux mille voix,
Grands arbres, berceaux de verdure et fleurs des prés,
Rose sauvage à cloche-pied sur l'aubépine,
Telle une fille hardie qui joue des tours badins
Les semaines de fête avec des baladins, -
Leste sur la tête du Clown. Et qui taquine
La foule au-dessous d'elle. En vérité, je crois
Qu'un tel lieu est pour moi comme un rêve parfois,
Carte du monde entier : par l'oreille et les yeux
Entrent tant de pensées, une telle clarté
De toute chose, qu'à la fin, épouvanté,
Je bondis hors de ce courant délicieux."
Il chante aussi son amour pour sa soeur, son double spirituel et ses vers résonne longtemps dans le coeur du lecteur...
"On dit que je suis poète : c'est une erreur, c'est mon âme qui tient par un fil à la boutonnière de mon vieux manteau."
"Je suis le livre errant, le livre sans auteur", nous dit-il. Au gré du vent, ce livre errant nous livre sa prose poétique, s'adressant à nous, êtres de chair et de sang terrés dans nos vies trop bien rangées. Il raconte sa quête spirituelle et poétique en malaxant les mots comme de la glaise pour créer une oeuvre ronde, entière, mais qui ne se laisse nullement circonscrire tant elle répond à la définition même de la poésie qui n'est que liberté.
Jean-Marie Kerwich est aussi atypique que sa poésie : né à Paris dans une famille de gitans piémontais, il part ensuite avec sa famille au Canada où elle reste 17 ans et fonde un petit cirque ambulant. Contraint de renoncer à la vie nomade, Jean-Marie Kerwich travaille à contrecoeur dans les cabarets mais les poèmes viennent à lui, comme une offrande.
Ce cadeau, il nous l'offre en ce recueil qui parle à l'errance qui est en nous...
Ce 19e Printemps des poètes invite à explorer le continent largement et injustement méconnu de la poésie africaine francophone. Si les voix majeures de Senghor, U Tam'si ou Kateb Yacine par exemple, ont trouvé ici l'écho qu'elles méritent, tout ou presque reste à découvrir de l'intense production poétique africaine, notamment celle, subsaharienne, qui caractérisée par une oralité native, tributaire de la tradition des griots et nourrie par ailleurs des poésies d'Europe, offre des chemins neufs sur les terres du poème.
Parole libérée, rythmes imprévus, puissance des symboles et persistance du mythe: écoutons le chant multiple des Afriques , du Nord et du Sud. Il va de soi que cette exploration ne peut ignorer les voix au-delà du continent africain, des Antilles à la Guyane, de Madagascar à Mayotte ...
Ce 19e Printemps des Poètes sera l'occasion de mettre en avant notamment l'oeuvre de Léopold Sedar Senghor et de Tchicaya U Tam'si.
Né au Japon en 1644 et mort en 1694. Basho vécut de et pour son art. Il fonda l'école de haïkus Shomon, à Tokyo.
Ce que j'ai aimé :
Ce recueil permet une rencontre avec le plus grand haïjin, poète de haïku japonais, celui qui a défini l'esprit du haïku. Certains de ses poèmes ont été publiés dans les recueils du Maître (poésie ou journal de voyage) et d'autres intégrés à des anthologies compilées par son école. Il chante la beauté de la nature, admire la lune, visite les lieux chantés par les anciens poètes.
"Avec légèreté, humour et simplicité, il porte une grande attention à la nature et réunit l'immuable et l'éphémère : l'essence de la poésie japonaise." (Présentation de l'éditeur)
"Le monde parfumé
d'une seule branche de prunier,
un troglodyte s'en contente."
"Le chant du coucou
comme s'il se propageait
sur l'eau."
"Le soleil splendide
entre chien et loup -
soir de printemps."
"Vieil étang -
une rainette y plongeant
chuchotis de l'eau."
Une belle découverte d'un poète de grande renommée...
Ce que j'ai moins aimé :
Je ne suis pas tombée sous le charme du grand Maïtre...
On ne présente plus Jim Harrison, écorché vif dans un corps de grizzly des montagnes, l'un des plus grands écrivains américains contemporains. On connaît moins le Jim Harrison poète. C'est chose faite grâce à ce recueil réunissant des poèmes inédits écrits entre 1965 et 2010, dans lequel Harrison, poète contemplatif à la fois mélancolique et brutal, se fait le chantre vagabond et universel de l'Amérique profonde et des vastes étendues sauvages. Dans Une heure de jour en moins, Jim Harrison, plus virtuose et truculent que jamais, joue avec les formes, les influences et les cultures, rendant au passage un vibrant hommage à ses maîtres, Antonio Machado, René Char et César Vallejo.
Ce que j’ai aimé :
Jim Harrison poète n'est pas loin de Jim Harrison romancier. Ses grands thèmes traversent ses vers comme ils structurent sa vie.
La nature est au centre des poèmes, matrice et élément auquel l'homme torturé revient toujours pour se recentrer, retrouver ses valeurs et se reconnaître en tant qu'homme. Elle coule dans l'eau des rivières, elle chante et enchante à travers le chant des oiseaux, elle crie le mal-être et la violence avec les coyotes, elle nous rappelle à l'ordre et recentre l'homme au sein d'un univers plus large.
« Issu de presque rien, de rien de
Tangible, nous retournons tels de vieux
Enfants au grand rien,
Le chant de l’homme et de l’eau allant à l’océan." (p. 191)
« J’espère définir ma vie, ce qu’il en reste,
Par des migrations, au sud et au nord avec les oiseaux
Loin de la fièvre métallique des horloges,
Le soi fixant l’horloge et disant « Je dois faire cela".
Je ne vois pas le temps sur la langue de la rivière
Dans l’air frais du matin, l’odeur fermentée
De la végétation, la poussière sur les parois du canyon,
Les hirondelles plongeant vers l’eau vive parfumée. » (p. 151)
« Dans la péninsule Nord du Michigan
Et les montagnes de la frontière mexicaine
J’ai suivi l’appel d’oiseaux
Inexistants dans des fourrés
Et des canyons. Je ne suis pas sûr
D’en être revenu indemne. » (p. 210)
Les indiens que Jim Harrison admire tant l'ont compris bien avant lui, comme ce vieil homme indien ojibway qui lui donne des conseils :
« Quand tu te balades dans l ‘arrière-pays, va où tu dois aller, et marche comme un héron ou une grue des sables. Il ne leur manque rien. (…) Pense à ton esprit comme à un lac. Renonce à la moitié de l’argent que tu gagnes si tu ne veux pas devenir une mauvaise personne. Les nuits de pleine lune, tâche de marcher aussi lentement qu’une moufette. » (p. 158)
Jim Harrison chante et enchante le monde grâce au pouvoir millénaire de la création. Il chante la vie qui court, il chante la joie de partager son coeur avec ses lecteurs, il chante comme un besoin inhérent à sa condition d'artiste...
« Au réveil d’une sieste j’ai su en un instant
Que j’étais en vie. C’était stupéfiant,
Presque effrayant. Emotion et sensations
Me submergeaient. Cela ne m’était jamais arrivé.
Sur une chaise bleue dans un pré j’ai réappris
Le monde. » (p. 211)
Ses poèmes sont un véritable sésame à son oeuvre et à l'homme, il s'y met à nu et nous livre le plus beau des chants d'amour et de vie...
« J’ai gâché trop de clairs de lune.
Cœur battant. Je n’en gâcherai plus,
La Lune harcelée de nuages file vers l’ouest
En son arc impondérable, piégée une demi-
Heure parmi les feuilles mouillées de la vasque
Aux oiseaux. » (p. 76)
Ce que j’ai moins aimé :
- Le recueil rassemble des poèmes écrit de 1965 à 2010, et j'avoue avoir un faible pour les plus récents...
Cendres emportées par le vent jusqu’au fleuve et l’eau les reçoit comme les restes de larmes heureuses. »
L’auteur :
Ecrivain marocain de langue française, Tahar ben Jelloun est né en 1944. Il a publié de nombreux romans, recueils de poèmes et essais. Il a obtenu le prix Goncourt en 1987 pour la Nuit sacrée.
Présentation :
« Ce corps qui fut un rire
Brûle à présent.
Cendres emportées par le vent jusqu’au fleuve et l’eau les reçoit comme les restes de larmes heureuses. »
« Il est une douleur millénaire sui rend notre souffle dérisoire. Le poète est celui qui risque les mots. Il les dépose pour pouvoir respirer. Cela ne rend pas ses nuits plus paisibles.
Nommer la blessure, redonner un nom au visage annulé par la flamme, dire, faire et défaire les rives du silence, voilà ce que lui dicte sa conscience. Il doit cerner l’impuissance de la parole face à l’extrême brutalité de l’histoire, face à la détresse de ceux qui n’ont plus rien, pas même la raison pour survivre et oublier. » (Tahar Ben Jelloun)
Ce que j’ai aimé :
Tahar Ben Jelloun rend hommage à tous les morts pendant la guerre du Golfe : aussi bien les soldats, les militaires que les civils. La mission du poète passeur de mots est dans cette transmission, dans cette dénonciation :
« Entre le silence meurtri et le balbutiement désespéré, la poésie s’entête à dire. Le poète crie ou murmure ; il sait que se taire pourrait ressembler à un délit, un crime. » (p.6)
Les illustrations du peintre irakien Azzawi Harrouda nourissent intelligemment le texte du poète.
« Qui comptera nos morts ?
Tas de cendre oubliés au bord de la route
Membres épars dans les carcasses abandonnées.
Qui nommera ces restes ?
Nous ne sommes qu’épaves sans navire
Ombres du vent sur des collines perdues
Couchés sur flanc d’airain
Par le signe céleste. » (p. 35)
Le texte se termine sur une note d’espoir finale :
« Cet homme est tous les hommes. Il a fait toutes les guerres. Il est mort plusieurs fois. Il ne cesse de renaître. Toujours le même, il croit à l’âme, à la pensée et aux choses : une prairie fleurie, un parasol pour l’amour, le rire et l’amitié, l’enfance et le courage…
Cela fait des milliers de jours et de saisons qu’il marche. On dit qu’il est atteint d’errance. On dit qu’il est fou. Sa bouche est fermée sur des siècles de mots. Ses yeux, grands et étincelants, restent ouverts. Ils voient loin, au-delà des murs et des montages. Au-delà de tous les silences. »
Les Non identifiés sont les palestiniens des territoires occupés, victimes de répression.
Les poèmes sont construits pour certains comme des notices biographiques. Ce sont des personnes appartenant à l’humanité ordinaire, des gens du peuple, inoffensifs, mères de famille, jeunes gens innocents. Et pourtant cette vie simple s’est terminée brutalement dans d’atroces souffrances, par une mort absurde.
Un très beau recueil sur les ravages de la guerre et son absurdité...
Ce que j’ai moins aimé :
-Rien
Premiers vers :
« Ce corps qui fut un corps ne flânera plus le long du Tigre ou de l’Euphrate
Ramassé par une pelle qui ne se souviendra d’aucune douleur
Mis dans un sac en plastique noir
Ce corps qui fut une âme, un nom et un visage
Retourne à la terre des sables
Détritus et absence. »
La remontée des cendres suivi de Non identifiés Version arabe de Kadhim Jihad, Edition Bilinge, Points, 8 euros