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rencontres litteraires

Rencontre avec Nathaniel Ian Miller

Publié le par Hélène

Nathaniel Ian Miller est l'auteur d'un premier roman remarqué intitulé L'odyssée de Sven qui raconte l'histoire de Sven, fuyant une vie contemporaine abrutissante pour se retirer dans une cabane au coeur du Spitzberg, une île appartenant à l'archipel norvégien de Svalbard. Cet archipel est situé à l'intérieur du cercle polaire. Si sa première année est décevante, il s'adapte peu à peu à cette vie hors du commun.

Il est indiqué que vous avez découvert la cabane de Sven lors d'une résidence d'auteur. Que faisiez-vous là-bas ? Dans l'archipel ?

Je voulais aller en arctique car je suis aussi fasciné par les explorateurs polaires, mais en tant que touriste cela coûtait cher et ce n'était pas ce que je cherchais. J'ai donc trouvé cette résidence d'artiste à bord d'une trois mâts avec des escales. Il faut savoir tout de même que c'est une expérience payante, chère aussi, j'ai dû lever des fonds pour partir. Lors d'une de ces escales j'ai découvert la cabane du vrai Sven, je suis rentré et j'ai vu les reliques de son passé, des allumettes, divers petits objets. J'ai eu envie de raconter cette vie d'isolement. On connait très peu de la vie de Sven, j'ai donc inventé à partir de ces reliques.

Que connait on du vrai Sven ? Vous êtes vous beaucoup documenté sur son histoire et sur l'arctique en général ?

Je savais peu de choses avant d'écrire, j'en ai appris davantage par la suite mais je suis heureux de ne pas avoir su avant : j'ai appris notamment que Sven n'était pas toujours très élégant avec les femmes, ou encore qu'à sa mort il a eu des funérailles magnifiques dans la ville voisine de sa hutte. Ce n'était pas mon Sven...

En ce qui concerne l'arctique j'ai beaucoup lu à propos des explorations des pôles mais je ne connais rien sur la chasse et le trappage, j'ai donc beaucoup inventé. En France, quand j'ai travaillé avec ma traductrice Mona de Pracontal, elle me posait de nombreuses questions sur les termes précis employés et elle-même faisait des recherches sur Internet pour mieux comprendre. Elle m'a d'une certaine manière sorti de mon ignorance...

Y a t il de vous en Sven ? Avez-vous été tenté par cet isolement dans une cabane ?

J'ai mis de moi en Sven, beaucoup plus que je ne le voudrais et pas forcément les meilleurs parts. J'ai vécu dans un grand isolement étant plus jeune jusqu'à effectivement ressentir cette sensation de devenir un bout de bois... J'étais dans une tour de guet, j'en avais rêvé mais cela devenait horrible. Honnêtement, je ne pourrais pas vivre ce qu'il vit, je pense qu'il a eu de la chance, parce qu'il ignorait les techniques de survie.

Le titre original est the Memoirs of Stockholm Sven. Pourquoi ce titre ? Pourquoi un titre différent en France ?

La première personne m'est venue naturellement, cela faisait sens pour lui quand il décrit cette sensation de vivre comme une pierre, et j'ai commencé à écrire ce passage d'ailleurs qui devait être un prologue. La première personne est un bon choix car Sven est honnête et le lecteur suit ainsi son chemin de pensée. Je voulais de plus le rendre observateur de ce qui l'entourait.

Le titre a été changé en France, car comme l'explique sa directrice éditoriale Maÿlis de Lajugie le terme "mémoires" en français est marqué : il s'agit plus des souvenirs d'une personne qui a réellement existé, un personnage réel qui raconte sa vie et rencontre. Ici l'histoire de Sven tient plus de l'épopée.  De plus ce roman lui avait fait penser à l'Odyssée de l'Endurance, donc cela faisait sens.
 

Sven est un personnage toujours poussé par les autres, est ce que ce ne serait pas ces autres qui finalement l'amènent à être lui-même ?

Oui, il accepte les décisions que les autres prennent pour lui, il n'est pas vraiment moteur de sa propre vie, il se considère souvent comme la personne la moins intéressante de la pièce. Il se construit peu à peu et développe une confiance en lui et devient quelqu'un de moteur, il commence à prendre des décisions par la suite, peut-être trop tard...

Avez vous écrit d'autres livres ?

Il s'agit de mon second livre mais le premier publié. Peut-être un jour lirez-vous le premier, mais il est beaucoup plus sombre. Il est assez similaire avec ces thématiques de l'isolement, de l'aliénation, mais l'Odyssée de Sven est plus humaine, les personnages sont plus drôles, plus humains.

J'aimerais voir publié ce premier livre, mais mon agent et mon éditeur me disent que cela risque de décontenancer les lecteurs qui ont apprécié l'Odyssée de Sven car l'amitié, la chaleur et l'espoir qui portent Sven sont absents du premier roman. Il est très différent, il évoque une réalité plus dure et nue.

Vous laissez ouverte la fin concernant la nièce de Sven. Pourquoi ce choix ?

J'ai ma propre idée de ce qui lui arrive, mais je voulais que le lecteur puisse imaginer sa propre suite, je voulais qu'elle continue à vivre dans son coeur. Peut-être un jour reprendra-t-elle le flambeau et vous pourrez lire la suite de ses aventures...

Quelle est la place de la nature dans votre roman ?

Au départ je voulais écrire du nature writing et non pas une fiction. J'ai besoin de voir pour écrire donc je suis allé à l'endroit en question. Rien ne m'attire a priori dans ces paysages froids et hostiles et pourtant mon prochain roman se situe en Islande, dans des espaces désolés aussi, donc j'ai au fond de moi une fascination pour ces espaces sublimes dans lesquels on se perd et devant lesquels nos problèmes deviennent si minimes... Néanmoins j'ai eu mon comptant de ces paysages, je vis au fin fond du Vernon dans une ferme, et sept mois de l'année la neige recouvre tout, cela ressemble à l'arctique. J'habite à côté d'une ville qui s'appelle Montpelier et j'envisage de m'y installer car le temps y est meilleur.

Quelle est la place de la musique dans votre roman ?

J'aime beaucoup la musique en général et il fallait qu'elle soit présente dans le roman. J'ai choisi de mentionner Dvorak car c'est un compositeur que j'apprécie, il est sombre, il remue quelque chose en moi de réflexif, qui me parle plus que d'autres compositeurs.

Merci à Babélio pour cette belle rencontre !

tous les livres sur Babelio.com
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Rencontre avec Carole FIVES

Publié le par Hélène

Nous avons eu la chance de rencontrer en petit comité Carole FIVES lors du Forum Fnac Livre ce week-end pour son roman Tenir jusqu'à l'aube chez Gallimard dont voici la présentation : "Une jeune mère célibataire s'occupe de son fils de deux ans. Du matin au soir, sans crèche, sans famille à proximité, sans budget pour une baby-sitter, ils vivent une relation fusionnelle. Pour échapper à l'étouffement, la mère s'autorise à fuguer certaines nuits. À quelques mètres de l'appartement d'abord, puis toujours un peu plus loin, toujours un peu plus tard, à la poursuite d'un semblant de légèreté.
Comme la chèvre de Monsieur Seguin, elle tire sur la corde, mais pour combien de temps encore? "

Pourquoi choisir ce thème ?

Non, ce roman ne parle pas de ma vie... Je voulais parler de ces mères solos, de leur solitude profonde et de leurs difficultés.

J’ai cherché des faits divers, et je n’ai pas trouvé grand chose hormis des cas d’abandon, très ponctuels, par exemple, une jeune mère laisse ses enfants seuls au Mac Do toute une soirée… et vient les récupérer vers 23h, c’est la police qui l’accueille. C’est des petites choses, mais qui d’après moi en disent beaucoup sur les charges, les servitudes qui pèsent sur les femmes aujourd’hui.

J’ai voulu tordre le cou dans ce roman au cliché de la Mère Courage, ou de la mère sacrificielle, qu’on présente habituellement lorsqu’on parle des mères célibataires. Et monter une femme qui ressemblait plus dans son quotidien à celles qui m’entouraient.

 

Si cette femme se retrouve seule dans cette ville, c’est qu’elle y a rejoint le père de son fils, et qu’après la séparation, elle ne peut pas se décider à partir. Elle attend un signe de lui.

Pourquoi cette référence à la Chèvre de Monsieur Seguin ?

Parallèlement, je lisais ce conte à mon fils. Je déteste ce conte qui parle des femmes et est profondément anti féministe. J'ai rapidement fait le lien avec cette mère solo emprisonnée.

Qu'avez-vous penser en visitant les forums ?

Pour le roman, j'ai effectivement fréquenter ces forums de maman. J'y ai vu beaucoup de jugements, "Si tu n'y arrives pas, c'est que tu ne sais pas t'organiser". Mais non ! C'est un problème structurel, pas un problème d'organisation. Sur ces forums, on ne s'avoue pas ses failles, il y a peu de bienveillance, peu d'entraide.

Quelles seraient les solutions à envisager pour pallier à cette situation des femmes solos ?

Pour le moment les pères ont seulement le droit de visite et doivent verser une pension alimentaire. Si l'on reste sur ce schéma, les aides doivent être plus conséquentes et la priorité pour la crèche doit être donnée à ces parents solos. Actuellement rien n'oblige à rester parent quand on se sépare. Il faudrait que la loi prenne ce problème à bras le corps.

Quels retours avez-vous eu après la parution du roman ?

Beaucoup de retours d'hommes étonnamment. Des femmes aussi, qui se confiaient et m'avouaient qu'il leur arrivait de mettre en danger leur enfant à cause de cette solitude subie. Nous sommes dans une société individualiste, avant la famille était au sens élargi, maintenant les familles sont isolées, séparées, géographiquement souvent. Ces femmes n'ont personne sur qui s'appuyer.

Pourquoi ce choix de couverture ?

C'est une photographie de Anni Leppala, j'ai demandé à l'éditeur de choisir une de ses photos pour la couverture de mon roman, ils ont choisi celle-ci. Toutes ses photos sont magnifiques.

Pourquoi aborder aussi ce thème de la violence conjugale ?
C'est un thème qui me tient à coeur. D'ailleurs je travaille sur une pièce de théâtre actuellement sur ce thème. Elle sera en janvier au théâtre de la Pépinière dans le cadre du Paris des Femmes.

A lire : Tenir jusqu'à l'aube

Du même auteur : Une femme au téléphone ♥ ;  Quand nous serons heureux ; C'est dimanche et je n'y suis pour rien ♥ ; Ca nous apprendra à naître dans le nord

 

Merci à l'agence Anne et Arnaud et au service communication chic et choc de la Fnac pour cette belle rencontre ! et merci à Benoît de A l'ombre du Noyer, Eva du blog Tu vas t'abîmer les yeux, Séverine de Blablamia, Camille de Mémoires du vivant, Nath du Boudoir de Nath, Audrey Du Souffle des mots et les autres blogueurs pour ce beau moment partagé

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Rencontre avec Olivier Bourdeaut

Publié le par Hélène

Lundi dernier nous avons pu rencontrer Olivier Bourdeaut, le talentueux auteur de En attendant Bojangles et de Pactum Salis dans les salons de Ladurée Royale à Madeleine. La rencontre était organisée par La Fnac qui avait également convié certains de ses adhérents, et elle était menée par Karine Papillaud. Ce fut l'occasion de revenir sur le parcours atypique de cet écrivain au charme indéniable.

"Un jour je ferai un coup d'éclat"

Mauvais élève, je rassurais mes parents en leur certifiant qu'un jour, je ferai un coup d'éclat donnant un sens à toutes les lacunes accumulées. J'ai écrit En Attendant Bojangles en deux mois en Espagne. S'il a tout d'abord été refusé par les éditeurs, il a fini par rencontrer un succès foudroyant.

Pactum salis

Pactum salis signifie que l'amitié est un pacte de sel, et ce titre n'est pas représentatif du roman puisque les amitiés du roman sont fortement contrariées. J'ai personnellement des relations apaisées avec mes amis, contrairement aux personnages du roman !

Dans Pactum Salis les deux personnages s'opposent. Ils ont deux métiers antagonistes : l'un est agent immobilier et court après l'argent, l'autre est paludier, en accord avec la nature. Chacun a fait ses choix, et tous deux sont heureux, satisfaits de leur vie. Humour, étincelle, rugosité, voilà ce que j'attendais de cette rencontre et puis leur rencontre m'a échappé. Michel est moins sympathique a priori mais finalement son ridicule le rend attachant.

Le personnage d'Henri

Lui aussi est un personnage qui s'est imposé comme un "Dédé", c'est à dire un débauché de droite. J'en avais assez de cette scission entre deux groupes, les bobos et les beaufs, j'ai donc inventé les "Dédés" pour montrer qu'il y a d'autres tribus.

Des projets dans d'autres domaines ?

Non, je ne souhaite pas faire autre chose qu'écrire mes romans ! En France sitôt que vous faites quelque chose de bien, on vous propose de faire autre chose, d'écrire des articles pour les journaux, des pièces de théâtre. J'ai trouvé en quoi je suis bon, pourquoi aller ailleurs, je préfère me concentrer sur quelque chose que j'arrive à faire pas trop mal. Et puis j'aime l'écriture aussi parce que c'est une activité solitaire qui me convient très bien.

L'amour de la langue

J'aime le vocabulaire suranné, je déteste les anglicismes. Je dis cela et pourtant mon prochain roman aura un titre anglais mais j'ai réussi à justifier ce titre par une pirouette pour avoir la conscience tranquille.  Je suis admiratif de la façon dont ma grand-mère s'exprimait, ce vocabulaire châtié, ces tournures de phrases syntaxiquement parfaites. Cela a disparu. La langue n'est plus le support de l'élégance, il doit y avoir à notre époque plus de fond que de forme.  Je suis déçu par cet effondrement de la langue et de l'esprit. Un premier ministre fait maintenant des tweets avec ces émoticônes et c'est une grande défaite si une simple boule jaune donne le fond de la pensée. C'est catastrophique !

Le travail des éditeurs

Sur Bojangles les éditeurs ont enlevé dix lignes pour Pactum salis j'ai eu plus de travail, un mois et demi environ. L'éditeur dirige le travail, il nous guide avec honnêteté, par exemple je  rajoutais des fioritures à la fin de chaque chapitre et mon éditeur m'a conseillé de les supprimer pour un effet plus efficace. Dans En attendant Bojangles le garçon disait toujours "Et tout et tout et tout" et je ne m'en rendais pas compte. Néanmoins pour Pactum Salis je regrette une scène qui a : c'était une scène désuète avec un curé, je la trouvais charmante.

Le prochain roman

Je l'ai en tête mais il n'est pas encore écrit. Il se passera aux Etats-Unis. Mais actuellement je suis dans une frénésie qui nuit à mon écriture. J'ai besoin de me retirer de cette vie trépidante et d'ingérer tout ce que j'ai vécu. Avant j'avais du temps mais pas d'argent maintenant c'est l'inverse. L'écriture vient aussi de l'ennui et de l'observation. De fait je pense que mon prochain roman ne sortira que dans trois ans.

Pour conclure

Je laisserai le dernier mot à la maman d'Olivier Bourdeaut qui était présente :

"Il ne faut jamais désespérer de ses enfants : Olivier était plutôt mauvais élève, puis il a éprouvé des difficultés à trouver sa voie, mais finalement, il n'a pas menti et il a fini par accomplir son coup d'éclat !"

 

A lire : En attendant Bojangles et Pactum Salis

 

A déguster : Le ISPAHAN de chez Ladurée

 

 

Merci à Julie et à la Fnac pour l'invitation et à Eva pour sa radieuse compagnie.

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Rencontre avec Claudie Gallay

Publié le par Hélène

Jeudi dernier avait lieu une rencontre avec Claudie Gallay initiée par Aliette Armel dans le cadre du Livre forum

Claudie Gallay a évoqué son dernier roman La beauté des jours 

Aller au bout de soi et de ses décisions

Voici la leçon de Marina Abramovic dont je parle dans ce roman. Elle parle de ses passions avec son corps. J'ai découvert cette artiste grâce à un article dans Télérama, et je suis "tombée en amour". Marina a vécu 17 ans de passion avec Ulay, même pour se séparer, ils se sont mis en danger. Comment une artiste en danger fascine-t-elle quelqu'un qui est du côté de la sécurité ? Jeanne n'est pas du tout dans l'audace, elle est dans la prudence retenue. Marina est un miroir de ce qu'elle aimerait être ou faire.

Marina n'a pas choisi sa façon de vivre, elle s'est appuyée sur son enfance, sur ses parents autoritaires, elle voulait prouver qu'elle était capable de réussir. Et elle réussit. Il y a un an dans un entretien, alors qu'elle était au summum de son art, elle a dit qu'elle donnerait beaucoup pour se lever le matin, être là avec quelqu'un, boire un café, lire le journal et juste parler de ce qu'on va faire aujourd'hui. Elle rêve d'un quotidien banal en somme. Et Jeanne a cela, cette monotonie, ce quotidien réglé.

L'art fait résonner la vie

L'art contemporain est présent dans d'autres de mes romans, par exemple dans Seule Venise avec le peintre Zoran Music, l'auteur de peintures et gravures fascinantes. Il a connu l'expérience des camps de concentration.

J'ai écrit aussi sur Opalka dans Détails d'Opalka.

Ce sont des artistes partis de situations extrêmes qui ont eu besoin de les transmuer dans des oeuvres extrêmes. Dans mes romans, ils font écho avec des personnages  qui n'ont pas de rapport avec ces situations, mais trouvent quelqu'un qui leur parle et ils grandissent ainsi. Ils éprouvent le besoin d'approcher les artistes.

L'art fait résonner la vie, il embellit.

Jeanne a découvert Abramovic à l'école, elle qui n'est pas une intellectuelle a compris ce langage, ce langage de corps, de chair, de ressenti. Pendant 20 ans, elle ne l'a pas oublié, c'était toujours là. Vingt ans plus tard, un cadre tombe, la mémoire rend Marina. Jeanne est disponible à ce moment-là, il est temps pour elle de faire remonter à la surface ce qui est en elle.

Jeanne est née de ses manques

La ferme était aussi dans L'office des vivants. Jeanne est issue d'une famille de taiseux, ses parents sont paysans et Jeanne est issue de ce silence. C'est pour cela qu'elle a compris Abramovic, cela résonne en elle, tous ces manques. Elle est au mi-temps de sa vie et elle fait le point. Alors quelqu'un surgit.

Dans mes romans souvent, quelqu'un surgit, quelqu'un qui va tout mettre en déséquilibre. C'est important de se faire bousculer. Martin est un amour d'adolescente laissé en suspens. Que se passe-t-il quand vingt ans plus tard on recommence ? Peut-on retrouver l'émotion de l'adolescence ?

Jeanne n'est pas une intellectuelle, elle ressent les choses. Elle a envie d'aimer. Rémi, son mari, voit tout, sait tout, mais il l'aime intangiblement. Martin est celui qui fait battre son coeur et emmène ses battements de coeur de l'autre côté de l'océan. Il est celui qui lui parle de Giono, il est celui qui éveille la curiosité de Jeanne. Il la réveille en tant que femme.

De la difficulté d'écrire une lettre d'intention

Au début, j'écris beaucoup, pour arriver ensuite à cerner, au début le texte faisait trois fois le volume du texte. Après, comme un sculpteur qui enlève petit à petit, j'épure. Comme Giacometti, pour arriver à des personnages filiformes. Le travail final demande de retirer ce qui est inutile, pour que ne reste que ce qui est essentiel. Au début l'écriture importe peu, ce qui est essentiel ce sont les personnages et l'histoire.

A la fin je lis aussi l'histoire à haute voix pour encore épurer, tailler.

Je commence à vraiment comprendre mon roman maintenant, quand j'en parle en librairie. Mon éditeur m'avait demandé d'accompagner mon texte d'une lettre d'intention, mais j'ai été désemparée, j'ai été incapable de l'écrire. Maintenant je pourrais le faire. J'ai besoin d'un temps de pause, je comprends mes livres une fois que j'en ai parlé.

Aujourd'hui ma lettre d'intention serait : "Montrer comment l'art peut sauver, aider, traverser, émerveiller quelqu'un qui a une vie toute simple. Comment deux mondes si différents peuvent s'entrechoquer."

L'art permet de revenir sur la beauté qui est, montre les choses qui sont là.

 

 

Mes livres ce n'est rien d'autre que la vie

Mon intention première était d'écrire sur Marina parce que j'avais ressenti une grande émotion que je voulais partager. Mais je me suis rendue compte que ce partage n'était pas utile. Jeanne est née ensuite. Jeanne n'existe pas dans la vraie vie, mais elle existe aussi.

Jeanne a mis en sourdine ses passions pendant vingt ans et soudain, cela ressurgit et éclate. Marina a permis à Jeanne d'oser, elle ose prendre une décision, elle va dire non pour retrouver une fidélité à elle-même. Elle  pense que le ciel va lui tomber sur la tête parce qu'elle a osé faire quelque chose seule, mais non. Elle reprend sa vie en mains.

Accéder à la pureté

Dans Détails d'Opalka, je parle de Tom Friedman qui a affiché une feuille blanche dans laquelle il avait placé toutes ses pensées, tout son ressenti. De même Marie-Hélène Lafon affirme dans "Traversée" vouloir aller vers la pureté. On veut arriver au silence. Il existait un livre avec juste des notes de bas de page, c'était au lecteur de reconstituer l'histoire à partir des notes de bas de page. (Vengeance du traducteur de Brice Matthieussent chez POL ? )

Ce qui est beau dans l'écriture c'est que l'on peut retravailler à l'infini, pas comme l'oral. L'écrit est au plus près de ce que l'on ressent.

Des paysages qui nous habitent

Les déferlantes est né de la Hague, il est né d'un paysage, qui est un personnage à part entière. Je me souviens d'un jour passé à Auderville en octobre, il y avait de la brume. J eme souveins être là-bas dans une atmosphère brumeuse avec ce phare qui pulsait. Un vieil homme sortait de chez lui, il s'éloignait le long de la rue. Théo, le gardien de phare est né comme cela. Le poème de Prévert m'a aussi inspiré :

Des oiseaux par milliers volent vers les feux
Par milliers ils tombent par milliers ils se cognent
Par milliers aveuglés par milliers assommés
Par milliers ils meurent.

Le gardien ne peut supporter des choses pareilles
Les oiseaux il les aime trop
Alors il dit tant pis je m’en fous
Et il éteint tout

Au loin un cargo fait naufrage
Un cargo venant des îles
Un cargo chargé d’oiseaux
Des milliers d’oiseaux des îles
Des milliers d’oiseaux noyés.

Mon roman est né d'un endroit à nul autre pareil, un endroit incroyable.

 

D'autres avis : Aliette Armel

D'autres titres de l'auteur : Les déferlantes  ♥ ♥  ; L'amour est une île  ♥ ; Une part du ciel  ♥ ♥  ♥ ; Dans l'or du temps ♥ ♥  ; Seule Venise ♥ ♥ ♥ ; La beauté des jours ♥ ♥  

 

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Alexis Ragougneau et le Goncourt des lycéens

Publié le par Hélène

Des questions qui nous recentrent

Comment avez-vous vécu les rencontres avec les lycéens ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

J'ai trouvé intéressant d'avoir le regard de lecteurs que nous n'avons pas l'habitude de rencontrer. Dans les librairies et salons en général, ce ne sont pas les lycéens qui viennent vers nous, nous n'avons pas souvent l'occasion de parler à des adolescents. Ici, ils ont lu en profondeur avec des questions encadrées, posées, travaillées avec le professeur.

La diversité des classes est aussi intéressante, nous avons face à nous des profils très différents.

Qu’avez-vous pensé de leurs questions ? Y a-t-il eu des questions surprenantes ? Lesquelles ?

Les questions sont différentes de celles qui sont posées en librairie. Cela nous aide à prendre de la distance par rapport à notre propre livre. Après une longue période de travail solitaire, vient la période du partage et de l'explication, et ce n'est pas simple d'expliquer. Les questions des lycéens étaient souvent assez concrètes sur le travail d'écriture, des questions de fond, de base, que tout écrivain devait se poser. Cela nous recentre.

Auriez-vous aimé, adolescent(e), participer à ce type de jury littéraire ?

Oui, j'ai découvert à cet âge des écrivains comme Tournier, Knut Hamsun.

L'école a un rôle essentiel à jouer pour faire découvrir la littérature, la lecture. Il est intéressant de pouvoir faire lire plus de littérature contemporaine dans les lycées, de montrer des auteurs vivants. L'étude des auteurs classiques est aussi fondamentale, parce qu'il existe un enjeu atemporel, universel dans ces textes classiques. Il faut créer un lien avec la littérature contemporaine et la littérature classique car au fond les enjeux sont les mêmes

 

En résumé, ces rencontres permettent de revenir aux fondamentaux.

 

Alexis Ragougneau est l'auteur de Niels publié chez Viviane Hamy.

 

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François-Henri Désérable et le Goncourt des lycéens

Publié le par Hélène

Photo Francesca Mantovani © Éditions Gallimard

Une aventure unique

Comment avez-vous vécu les rencontres avec les lycéens ? Qu’est-ce que cela vous a apporté ?

Comme une aventure unique, une tournée de rock-stars sans rock et sans stars mais avec des écrivains dont certains étaient déjà des amis, dont d’autres le deviendront sans doute, et ce grâce à la rencontre de quelques milliers de jeunes un peu partout en France.

Qu’avez-vous pensé de leurs questions ? Y a-t-il eu des questions surprenantes ? Lesquelles ?

Souvent pertinentes, parfois inattendues, rarement incongrues (mais il y en eut, et tant mieux – posez la question à Olivier Guez).

Quel lycéen étiez-vous ? Lisiez-vous ? Quels auteurs ?

J’étais le genre de lycéen qui attend toute la journée que la cloche sonne et le délivre pour qu’il puisse sauter sur la glace, une crosse de hockey dans les mains. Je lisais très peu, hormis (et pas toujours) les quelques auteurs (souvent morts) au programme.

Auriez-vous aimé, adolescent, participer à ce type de jury littéraire ?

J’aurais sans doute commencé par rechigner (non mais vous comprenez, nous, on n’a pas que ça à faire, on a une vie, en dehors du lycée !), avant d’y prendre goût.

Lisez-vous les Goncourt des lycéens ?

Oui, il m’est arrivé d’en lire plusieurs. J’ai lu les sept derniers, plus quelques autres.

Lequel vous a particulièrement marqué ?

Difficile à dire. Il y en a plusieurs, parmi lesquels Du domaine des murmures de Carole Martinez, qui est une remarquable conteuse ; mais aussi le très beau petit livre de Mathias Enard, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants ; et enfin le Magnus de Sylvie Germain dont je connais certains passages par cœur.

 

François-Henri Désérable est l'auteur de Un certain Monsieur Piekielny aux éditions Gallimard

 

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Rencontre avec Paolo Cognetti

Publié le par Hélène

De passage à Paris pour quelques jours, j'ai eu la chance de partager un déjeuner avec Paolo Cognetti, l'auteur du beau roman Les Huit montagnes. Accompagné de sa charmante compagne, sa première lectrice, il a évoqué son parcours, ses passions, ses déceptions avec humanité.

Son parcours

S'il a décidé de partager son amour de la montagne à travers ce roman, il aime aussi la ville, étant lui-même né à Milan. Il a d'ailleurs consacré un guide littéraire à New-York en 2010, sur les traces des écrivains qu'il admire comme Ernest Hemingway, Raymond Carver. Il a également rédigé des nouvelles non traduites en français, principalement des portraits de femmes, écrites du point de vue féminin. Ce furent des étapes, avant son immersion dans le roman, comme un aboutissement de ces esquisses.

Son inspiration :

Les huit montagnes est un récit à résonance autobiographique dans lequel se rencontre la trajectoire de deux garçons : l'un rivé à la montagne comme un aimant, l'autre oscillant entre la ville et la campagne. Une belle amitié naît entre les deux garçons, amitié qui perdurera avec les années. Pour ces deux personnages, Paolo Cognetti s'est inspiré de sa propre vie, s'identifiant à Pietro, Bruno incarnant un très bon ami à lui. La mère de cet ami, est, comme la mère de Bruno, une taiseuse, qui ne quitte pas son village, et reste accrochée à ses montagnes, été comme hiver.

Paolo Cognetti  et sa compagne vivent eux-mêmes à la montagne six mois par an, dans un petit village du val D'Aoste. Ils repartent dans la vallée quand la neige arrive.

@www.panoramio.com

Si leur village ne compte que six habitants, il a connu une activité inahabituelle récemment puisque Paolo Cognetti y a organisé un festival dans la forêt, près de chez lui, alliant musique et livres. A cette occasion, le village a alors reçu la visite de plus de 3000 personnes ... http://www.ilrichiamodellaforesta.it/

Dans les Huit montagnes, l'auteur évoque ainsi cette lente désertion des montagnes, ces hommes et ces femmes qui partent vers la ville, ces villages qui se dépeuplent petit à petit, devenant des villages fantômes.

Ses lectures :

Souvent son roman est comparé à celui de Marcel Pagnol, La gloire de mon père, mais Paolo Cognetti ne l'a pas lu. Il apprécie Sylvain Tesson, et se reconnait dans son expérience contée dans "Dans les forêts de Sibérie". Son coeur penche évidemment aussi vers les écrivains montagnards, comme Ramuz, Mario Rigoni Stern, comme une évidence, mais aussi vers le magnifique roman Une vie entière de Robert Seethaler, ou l'écrivain norvégien Per Petterson.

Ses projets :

Malgré le fait qu'il souffre réellement du mal des montagnes, il projette de partir marcher trois semaines dans l'Himalaya. Suite à ce voyage, il écrira dans un premier temps un récit de voyage pour un magazine, et peut-être ensuite un roman si l'inspiration vient.

A suivre...

 

Je vous invite à visiter son blog http://paolocognetti.blogspot.fr/

 

Je remercie Valentine des éditions Stock pour l'invitation, qui m'a aussi permis de découvrir un restaurant atypique : le Niebé dans le 6ème arrondissement qui a l'avantage d'allier culture africaine et brésilienne et de proposer des plats vegan. Nous avons savouré le tofu sauté à la crème de manioc, curcuma, coriandre et riz noir, et en dessert, la mousse de fruits de la passion était divine, tout comme le bissap.

J'ai eu le plaisir également de croiser Audrey du blog Booksnjoy ainsi que des libraires comme Olivier Gallais de la Librairie Idéale dans le 7ème, Philippe de la librairie Le livre écarlate dans le 14ème, et la libraire de La belle lurette dans le 4ème

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Forum Fnac et Rencontre avec Lola Lafon

Publié le par Hélène

Du 15 au 17 septembre, ce sont plus de 10.000 personnes qui se sont donné rendez-vous en plein centre de Paris à la Halle des Blancs Manteaux, réaménagée pour l'occasion en un lieu convivial et chaleureux.

Je n'ai malheureusement pu me rendre au forum que le vendredi pour l'inauguration et pour une rencontre avec Lola Lafon, n'étant pas disponible les autres jours (de l'inconvénient d'avoir des vies parallèles au blog...)

Mais ce court moment lors de l'inauguration fut un vrai plaisir, j'ai retrouvé Caroline et sa robe rouge éclatante (blog Cultur'elle), Benoit ( à l'ombre du noyer), Eva et son sourire éclatant (Tu vas t'abîmer les yeux), Miss Léo (Me, Darcy and I), Nicole (Mots pour mots), Caroline ( Carobookine), Valentine Layet et sa bonne humeur (Stock), des serveurs serviables, des petits fours addictifs, du champagne à volonté (grâce aux serveurs aimables), des anecdotes cocasses entre l'agonie de l'Iphone de Caroline et les doubles vie follement romanesques de certains collègues de Eva et Caro, bref j'ai passé un excellent moment de joie et de complicité !

 

Après Gaël Faye et son Petit pays de l'an dernier, le prix du roman Fnac a été décerné à Véronique Olmi pour son roman Bakhita dont j'espère vous parler prochainement (et retenez le conseil de Benoit : aller au-delà des dix premières pages assez poignantes pour ensuite admirer la profondeur du roman)

 

 

Lola Lafon, auteure de Merry, Mary, Patty, nous attendait ensuite pour une rencontre entre blogueurs.

Elle nous a raconté comment le sujet était venu à sa rencontre par le biais de cette célèbre photo dérangeante de Patricia Hearst :

"Mais je ne voulais pas raconter l'histoire de Tania/ Patricia. Personne ne sait réellement ce qui a bien pu se passer dans la tête de Patricia pour rallier la cause de ses ravisseurs. On ne sait pas l'expliquer et c'est cela qui est intéressant. Elle n'a pas parlé, sinon, elle aurait fini en prison. Adopter son point de vue m'aurait obligé à prendre position, ce que je ne souhaitais pas. Ce n'est pas non plus un roman historique, Geneva et Violaine sont des personnages inventés.

Par contre ce qui m'intéressait était le procès et la réaction des gens face à ce retournement d'opinion. Les gens n'ont pas accepté que cette jeune femme, icône américaine, issue d'une famille riche et médiatique, ait pu tourner le dos à une vie iconique pour adhérer à la cause du SLA. L'ironie de l'histoire étant que son propre père gagne un argent fou en vendant ses journaux avec cette affaire faisant sa une.

C'est intéressant de voir comment en disparaissant, des personnages font apparaitre d'autres personnages.

Patricia, en étant prisonnière a conquis sa liberté, elle a observé son monde de l'extérieur et a compris de quoi le FBI et l'Amérique était capable. Elle a alors ressenti un profond dégout de l'Amérique, et a été profondément blessée par l'indifférence, c'est cela qui la heurte. Pour moi,  elle n'est pas déterminée à faire la révolution, mais elle est déterminée à être libre, cela passe par là car ces gens traversent sa route. Il a suffit d'une torsion de la vie pour changer les choses, elle qui se destinait à une vie bien rangée, à n'être qu'une jeune femme vouée au mariage, le SLA a bouleversé sa vie.

Violaine aussi a son importance. Quand les femmes parlent peu, elles disent beaucoup avec leurs corps, leur corps témoigne de la privation ou du contraire. Violaine parle avec son corps et elle a ainsi le pouvoir d'inquiéter tout le monde. La virginité politique de Violaine est une chance pour Geneva, son propre passé politique lui bloquant la vision. Violaine pressent, ressent l'essentiel parce qu'elle est étrangère à son monde, extérieure. Il y a une nécessité d'être décalée pour comprendre. Cette rencontre la renforce, la muscle, par un effet miroir, elle aussi dira "je suis vivante". Mais je ne voulais pas que ce soit soudain. Je voulais montrer que c'était possible, que changer les choses même après 40 ans est possible. Chacun a cette possibilité dans sa vie, de changer, il se passe toujours quelque chose à un moment, une porte s'ouvre, mais c'est très cinématographique de se dire que pif paf, on change de vie de but en blanc, on largue tout, le changement est souvent long, pas immédiat."

 

Lola Lafon a aussi évoqué son choix de narration, ce "vous" qui peut déranger certains lecteurs :

"Ce "vous" permet au lecteur de prendre position. Comme une lettre, une adresse, il est chargé d'émotion aussi, accusateur. Cette mise en abyme de la notion de procès permet d'impliquer le lecteur."

Quant à la question de savoir si "un message" sous-tend le roman, la réponse est cocasse et profonde à la fois :

"Je n'ai pas de message clair à faire passer, sinon je ne serais pas auteure mais postière -ce n'est pas de moi-. La littérature est un espace qui ouvre des mondes plus vastes, plus de liberté, d'imaginaire.

On peut rester dans le même immeuble toute sa vie et avoir une vie de richesse, il faut faire l'effort de voir le minuscule. En cela, le paysage des Landes était pour moi évocateur car il est assez monotone, des plages, du sable, des forêts de pins, du sable, des plages. On se perd facilement dans ces forêts si on ne prête pas attention aux détails. Tous les chemins ne sont pas les mêmes. C'est à chacun de prêter attention aux détails pour trouver son chemin."

Merci à Lola Lafon pour sa gentillesse et son écoute bienveillante.

 

Pour conclure, ce forum fut une belle réussite, et ceci grâce à la Team chic et choc que je remercie chaleureusement : pour la Fnac, Julie, Audrey, Maurine, pour l'agence Anne et Arnaud, Anne, Arnaud, Anaïs, Vincent.

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Forum Fnac Livres

Publié le par Hélène

 

Du 15 au 17 septembre aura lieu la deuxième édition du forum Fnac Livres à la Halle des Blancs Manteaux dans le 4ème arrondissement à Paris avec avec près d’une centaine d’écrivains incontournables et des figures de la rentrée 2017.

 

Pour plus d'informations : https://www.fnac.com/forumfnaclivres

 

Pour ma part, je serai présente le vendredi pour l'inauguration et pour une rencontre avec Lola Lafon. J'espère vous y croiser !

 

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Festival Paris en toutes lettres 2016 - Rencontre avec Sylvain Tesson

Publié le par Hélène

Vendredi dernier dans le cadre du Festival Paris en toutes Lettres, la maison de la poésie organisait une rencontre avec Sylvain Tesson. 

Pourquoi la marche ?

Après ma chute, j'ai passé plusieurs mois à l'hôpital, enfermé. A ma sortie, j'ai eu la possibilité de faire ce que j'aimais, marcher au grand air. C'était une issue pour moi, une lumière au bout du couloir. Cela me permettait d'accomplir une forme de rééducation et aussi de sortir de ma déprime.

Pourquoi la France ?

Souvent nous négligeons ce qu'on possède, qu'il s'agisse des lieux ou des êtres. Je vivais en France mais je ne connaissais pas mon pays. L'exotisme est comme la maladie infantile de la géographie. On demande à la distance de nous apporter ce que la vie ne sait pas nous apporter...

La deuxième raison est que je ne pouvais pas aller trop loin, j'avais besoin d'une marche douce, une aventure dans les  limites du raisonnable. Avant j'étais un ado attardé sans l'acné un peu fou dans ses aventures. 

Je voulais aller vers la mer pour finir mon parcours au bord d'une falaise. Je me sens bien au bord des falaises, devant cette géographie qui impose la nécessité de s'arrêter. 

Vous avez fait  des études de géographie ?

Oui, je suis un être superficiel qui aime ce qui se déploie, ce qui s'étend et ce qu'on peut observer sur un plan euclidien. 

Que sont les chemins noirs ?

Les chemins noirs sont les chemins les plus fins possibles sur la carte. Sur le sol ce sont des broussailles, des sentiers oubliés, des issues de secours. Et puis j'ai joué avec une analogie vague : les chemins noirs sont aussi les chemins intérieurs, les lignes de traverse qu'on suit dans son existence, nos replis, nos silences, dans une volonté de s'abstraire du brouhaha. 

René Frémi a écrit en 1964 "Les chemins noirs ", l'histoire d'un conscrit qui s'évade. Je ne pouvais pas utiliser le même titre, j'ai donc rajouté la préposition car je tenais à ce titre.

Dans votre roman vous parlez aussi de l'exode rural ?

L'exode rural a provoqué la disparition de tout un peuple, les ronces ont repoussé. La disparition des paysans est quelque chose qui existe vraiment. Comme l'enlaidissement du territoire dû au phénomène de décentralisation, d'industrialisation, de politique agricole commune, de périurbanisation, de reliement par les routes, de rocades, ronds points... Ce n'est pas un délire de vieux barbon, c'est une constatation de ce qu'il s'est passé. Alors oui de nouveaux paysans reviennent, à petite échelle mais pour l'instant c'est anecdotique.

Vous souhaitiez échapper aux écrans ? Sortir des radars ?

J'apprécie le terme de "dispositif", d'appareillage employé par Foucault, qui désigne le gouvernement qui règne sur une collectivité sous une forme intangible, impalpable. Le philosophe Agamben s'en sert en ajoutant une nouvelle donnée, il injecte la révolution numérique, les nouvelles technologies censées être à notre service mais qui sont en réalité nos maîtres. La technologie est un instrument dont on devient esclave. Je veux échapper à l'impératif de se soumettre à la nécessité de communiquer, de s'exhiber tout le temps, de réagir sur tout, tout le temps, c'est ce que j'appelle le brouhaha du monde.

La diagonale est un chemin noir, une vie hors des voies, une échappée du dispositif.

Dans Berezina vous employez aussi le terme de "escapisme". 

Il s'agit d'un comportement stratégique tactique et existentiel devant une situation qui consiste à fuir, à prendre la tangente. Il s'agit d'un principe de vie, dès qu'un obstacle ou une bifurcation se présente, il faut prendre la troisième voie : le demi tour. Comme les herbivores qui fuient pour survivre. 

Mon retrait au bord du lac Baïkal était un retrait du monde dans une forme immobile. Les chemins noirs sont un retrait en mouvement. J'aime la recommandation d'Epicure qui incite à dissimuler sa vie -ce qu'il  n' a pas réussi et a bien raté d'ailleurs vu sa notoriété à travers les âges ! Dans ma vie je ressens toujours cette oscillation entre nomadisme et sédentarité, Kerouac et Xénophon, la Sibérie et l'Indre et Loire.

© / Pierre chamboultout

Pourquoi la première fuite ?

La première fois je suis parti faire le tour du monde à bicyclette avec Alexandre Poussin . Pour nous, c'était ordinaire, à 20 ans c'est une banalité de vouloir partir, cela tient d'une force vitale. 

Quant à trouver une explication psychanalytique à mon envie de m'échapper, je n'y crois pas. On ne trouve pas toujours tout dans les mystères de l'enfance, je ne crois pas que tout ce qu'on devient est contenu dans l'enfance. Il s'agit davantage d'occasions, de signes présents sur le bord de la route.

@http://www.expemag.com/

L'écriture était-elle liée au voyage dés le départ ?

Lors du premier voyage j'ai écrit par hasard : un éditeur m'a proposé d'écrire le récit du voyage, le livre a connu un beau succès, du coup j'ai écrit un deuxième livre puis c'est devenu une discipline puis un besoin puis un dédoublement de la vie. L'écriture représente la possibilité de vivre une deuxième fois la journée. D'ailleurs je tiens depuis longtemps un journal intime dans lequel j'archive ma vie, ses faits, tous les jours. Et pour moi la fin du voyage n'arrive réellement qu'après la fin du travail d'écriture, quand je pose le point final.

Etes-vous tenté par une oeuvre d'imagination ? 

Je n'écris que ce que je vis, je ne suis pas un écrivain de l'imagination. Je suis un laborieux, je ne suis pas comme ces écrivains qui se laissent emporter par leurs personnages, moi si je crée des personnages ils s'endorment sur le canapé ! Non, je ne serai jamais un écrivain de l'imagination. Je suis doté d'un bon outillage sensoriel pour observer le monde et je m'en contente, et puis la vie est suffisamment surprenante en elle-même sans que l'on cherche à en rajouter.

Pourquoi toutes ces citations dans vos livres ?

Je suis encombré par la référence, c'est une maladie européenne de mettre entre soi et ce que l'on voit l'écran de la référence. Je voulais cette fois-ci faire exclusivement usage de mes sens, or cela a duré 30 secondes et j'ai vite réutilisé le nuage de fumée des références. 

Vous avez été rejoint par des amis durant la route.

J'aime l'idée d'une bandes d'amis qui voyage, je ne suis pas misanthrope. Par contre, deux jours me semble un bon intervalle de commerce avec mes semblables. J'aime l'image de la cordée d'escalade  : 50 mètres nous séparent, de temps en temps on se rejoint quelques secondes pour échanger quelques mots cela me semble vivable avec un ami.

Et le corps ? 

Il repousse... Avant j'étais en bonne santé mais je buvais tellement... Quand je suis arrivé dans le Cotentin, j'ai eu l'impression d'être debout, que la sève avait été ré-insufflée en moi. J'ai jeté au-dessus de la falaise le mauvais sort que j'avais vécu.

 

Sur les chemins noirs 

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