Le loup terrorise la forêt et ses habitants qui se sont organisés pour lutter contre ce fléau qui rode autour d'eux. Le loup peut survenir à tous moments, et chacun se prépare à cette éventualité, si bien qu'une véritable économie centrée sur la peur a vu le jour : brigades de surveillance, pièges anti-loups, clôtures sécurisées, mais aussi des conférences, des cours de self-défense, des gazettes qui se repaissent de la moindre pseudo-apparition, ou disparition mystérieuse, et puis l'écureuil qui propose de se réconforter en mangeant des noisettes ou des chips !
Jusqu'au jour où le loup fait une descente ... affublé d'un charmant slip à rayures qui a tendance à plus le ridiculiser qu'à effrayer ses semblables. Et justement... si ce slip avait changé la mentalité du loup, qu'arriverait-il ?
Cet album hybride entre livre d'illustrations et bande dessinée parle aussi bien aux enfants pour relativiser leur peur du loup qu'aux adultes qui seront sensibles à ces problématiques sécuritaires si facilement ébranlables. Et si en plus ce sont les vieux fourneaux qui nous le présentent...
Une vraie réussite qui confirme le talent de ses auteurs !
1876 à 1907. Paula Modersohn-Becker est une artiste peintre allemande de la fin du XIXème siècle, célèbre en Allemagne et dans beaucoup d’autres pays au monde, mais à peu près inconnue en France bien qu’elle y ait séjourné à plusieurs reprises... Elle est précurseure de l’expressionnisme, et fut amie de Rilke et de son épouse, la sculptrice Clara Westhoff. Elle peint envers et contre tout, comme un besoin essentiel.
Elle se marie en 1901 avec Otto Modersohn, mais elle reste déçue par le mariage, ce qui la pousse à quitter son mari quelques années plus tard, préférant se consacrer corps et âme à son art.
"L'expérience m'a enseigné que le mariage ne rend pas plus heureuse. Il ôte l'illusion d'une âme soeur, croyance qui occupait jusque-là tout l'espace. dans le mariage, le sentiment d'incompréhension redouble. Car toute la vie antérieure au mariage était une recherche de cet espace de compréhension. est-ce que ce n'est pas mieux ainsi, sans cette illusion, face à face avec une seule grande et solitaire vérité ?"
Elle reviendra vers lui et tombera alors enceinte, mettant au monde une petite fille, Mathilde. Dix-huit jours après sa naissance, alors qu'on l'autorisait à se lever pour la première fois, elle s'écroula, victime d'une embolie pulmonaire. Son dernier mot sera "Schade""Dommage".
AU-delà de son intérêt pour son art, Marie Darrieussecq s'est aussi intéressée à elle à cause de ce dernier mot : "J'ai écrit cette biographie à cause de ce dernier mot. Parce que c'était dommage. Parce que cette femme que je n'ai pas connue me manque. parce que j'aurais voulu qu'elle vive. Je veux montrer ses tableaux. Dire sa vie. Je veux lui rendre plus que la justice : je voudrais lui rendre l'être-là, la splendeur."
Ce que j'ai moins aimé : le style et certains détails nous font balancer entre charme et vide des propos : par exemple au restaurant des détails tels que :"Paula y prend volontiers des asperges, et Rilke du melon." apparaissent bien peu nécessaires...
Bilan : Au-delà du personnage touchant de l'artiste, je n'ai pas été sensible au charme de cette biographie.
Etre ici est une splendeur, Marie Darrieussecq, Folio, septembre 2017, 160 p., 6 euros
EXTRAIT DE REQUIEM POUR UNE AMIE
Rainer Maria Rilke, 1908
Proche de Paula Modersohn-Becker, le poète Rainer Maria Rilke est terriblement affecté par la disparition de la jeune femme. Les deux amis se sont toujours vouvoyés. Mais un an après son décès, il la tutoie dans un texte poignant à sa mémoire.
« Dis, dois-je voyager ? As-tu quelque part
laissé une chose qui se désole
et aspire à te suivre ? Dois-je aller visiter un pays
que tu ne vis jamais, quoiqu’il te fût apparenté
comme l’autre moitié de tes sens ?
Je m’en irai naviguer sur ses fleuves, aux étapes
je m’enquerrai de coutumes anciennes,
je parlerai avec les femmes dans l’embrasure des portes,
je serai attentif quand elles appelleront leurs enfants.
[…]
Et des fruits, j’achèterai des fruits, où l’on
retrouve la campagne, jusqu’au ciel.
Car à ceci tu t’entendais : les fruits dans leur plénitude.
Tu les posais sur des coupes devant toi,
tu en évaluais le poids par les couleurs.
Et comme des fruits aussi tu voyais les femmes,
tu voyais les enfants, modelés de l’intérieur
dans les formes de leur existence. »
Le musée d'Art Moderne de Paris lui consacre une exposition en 2016, exposition à laquelle a collaboré Marie Darrieussecq :
Boo et Junior sont videurs dans un club de Boston. Un beau soir, en lieu et place des habituelles bagarres, se présente à eux une belle jeune femme chargée à les amadouer pour qu'ils acceptent une requête particulière : retrouver la fille du procureur de Boston. Bien que charmés, ils hésitent, mais finissent par accepter soupçonnant que la jeune fille court un sérieux danger en fréquentant des milieux interlopes.
Cette mission les entraine de bastonnades en bastonnades, mais les deux mastodontes au coeur pur sont prêts à tout pour découvrir où se cache la jeune femme.
Peu de temps morts dans cette folle aventure tournant autour de deux personnages atypiques, et même si l'intrigue n'est pas très originale, les dialogues enlevés apportent du sel au roman.
Ce que j'ai moins aimé : Je n'ai pas été sensible à l'humour de Boo. Ni à son intrigue amoureuse dont on aurait pu se passer...
"Tel était bien le problème avec Hollywood : tout se transformait en scénario."
1937. Francis Scott Fitzgerald ne le sait pas encore mais il vit ses dernières années.
Zelda est internée et si elle espère sortir, ses crises constantes n'oeuvrent pas en ce sens... Scott a beau lui rendre visite avec ou sans Scottie, il ne peut que constater le fossé qui s'installe entre eux et les sépare irrémédiablement. Zelda vit dans un autre univers, et même si elle le surnomme encore "mon bécasseau" et que tous les deux tentent de se rassurer avec des "te souviens-tu", ils s'éloignent indubitablement l'un de l'autre. Scott part alors pour Hollywood acculé par ses dettes et ses problèmes avec l'alcool, acceptant le métier peu glorieux de scénariste à La Metro Goldwyn Mayer. Là-bas, il rencontre la jeune Sheilah Graham, journaliste au charme irrésistible !
Dans les décors en carton pâte d'Hollywood, Francis Scott Fitzgerald évolue en titubant, la plupart des projets de scénarios qu'on lui confie tombe à l'eau, il doit repartir de zéro et donner de la consistance à des intrigues et des personnages qui en sont initialement dépourvus. La plupart de ces scénarios ne sera pas tourné, à l'exception de Trois camarades. Il hante les fêtes de la ville mythique, aux côtés de ses collègues Dorothy Parker et Robert Benchley, croisant ses stars si facilement déchues, ces acteurs mythiques de l'époque, de Marlène Dietrich à Clark Gable, ou ses écrivains comme Hemingway.
Portrait d'une époque et de ce milieu des scénaristes, Derniers feux sur Sunset évoque avec brio malgré quelques longueurs "l'envers du paradis", évoquant aussi la montée du nazisme, et dressant le portrait émouvant de cet homme qui, sentant ses derniers instants venir avec ses problèmes cardiaques, s'attelle sans relâche à la rédaction de son dernier roman Le Dernier Nabab, qu'il laissera inachevé.
Alors qu'il quitte son village pour se rendre à Saint Louis, Yacine rencontre un jeune lionceau abandonné. Touché par la solitude de l'animal abandonné par sa mère, il décide de l'emmener avec lui. Et c'est ainsi que commence l'incroyable épopée de ce lion qu'il appellera Personne, en hommage à la ruse d'Ulysse sur l'île du Cyclope. Jean-Gabriel Pelletan directeur de la compagnie royale du Sénégal chez qui se rend Yacine accepte de garder le lionceau qui grandit dans un univers protégé. Mais un jour il blesse un jeune garçon et Pelletan doit l'éloigner du Sénégal. Il décide de l'envoyer à Paris, à la ménagerie royale de Versailles.
Son histoire originale permet de sonder les rapports entre les hommes et les animaux oscillant entre maltraitance et bienveillance.
Ce que j'ai moins aimé : Il est difficile de s'attacher à un des personnages qui sont assez détachés, froids. Sitôt que l'on commence à s'attacher à l'un d'eux, le lion doit les quitter et nous les quittons également.
Bilan : Un tableau de l'époque intéressant et original.
"Tolérance zéro, réflexion zéro, voilà la politique en matière de stupéfiants pratiquée dans mon pays pourtant dirigé par des premiers de la classe."
Patience Portefeux, 53 ans, est une femme seule, veuve, devant assumer les frais couteux de sa mère à l'hospice. Elle a travaillé toute sa vie en ayant toujours des difficultés pour boucler les fins de mois. Son métier lui offre alors une opportunité décalée : alors qu'elle pratique des traductions d'écoutes téléphoniques dans les enquêtes des stups et du grand banditisme, un magot lui tombe soudain du ciel. De fil en aiguille, elle devient la Daronne...
Ce roman original et très bien écrit met en scène une héroïne au profit atypique, une femme de 53 ans qui rêvait enfant de collectionner les feux d'artifice, rêve fou que la vie a allègrement piétiné. A l'heure de prendre sa revanche, elle n'hésite pas un instant, tant elle est désabusée par la société et les politiques qui la régissent. L'amoralité du monde qui l'entoure, l'illogique d'un système qui fonctionne à l'envers la pousse à jouer ses propres cartes. Par exemple, si elle travaille pour la police, elle est payée au noir par le ministère. "C'est d'ailleurs assez effrayant quand on y pense, que les traducteurs sur lesquels repose la sécurité nationale, ceux-là mêmes qui traduisent en direct les complots fomentés par les islamistes de cave et de garage, soient des travailleurs clandestins sans sécu, ni retraite. Franchement comme incorruptibilité on fait mieux, non ?
Enfin, moi qui suis corrompue, je trouve ça carrément flippant."
De même, elle reste lucide sur la façon dont est menée la lutte contre la drogue en France : avec cette tolérance 0 et des moyens faramineux déployés pour lutter contre les délinquants, mais, parallèlement et paradoxalement, des français de souche loin d'être irréprochables terrés dans leur campagne et épargnés.
"Quatorze millions d'expérimentateurs de cannabis en France et huit cent mille cultivateurs qui vivent de cette culture au Maroc. Les deux pays sont amis et pourtant ces gamins dont j'écoutais à longueur de journées les marchandages purgeaient de lourdes peines de prison pour avoir vendu leur shit aux gosses de flics qui les poursuivent, à ceux des magistrats qui les jugent ainsi qu'à tous les avocats qui les défendent. Du coup ils deviennent amers et haineux. On ne m'enlèvera pas de l'esprit (même si mon ami flic m'affirme que je me trompe) que cette débauche de moyens, cet acharnement à vider à la petite cuillère la mer de shit qui inonde la France, est avant tout un outil de contrôle des populations en ce qu'elle permet de vérifier l'identité des Arabes et des Noirs dix fois par jour."
Ce que j'ai moins aimé : Le cynisme grinçant de cette anti-héroïne moderne est assez désespérant notamment en ce qui concerne la gestion de la vieillesse et la solitude dans laquelle se meuvent les êtres.
Bilan : Un roman percutant, marquant qui mérite amplement tous les prix obtenus :
Grand Prix de littérature policière - 2017 / Prix Le Point du polar européen - 2017 / Meilleur polar de l'année 2017, selon le Magazine Lire
Deux couples d'enseignants à l'âge de la retraite se retrouvent dans une maison en pleine forêt. Ces retrouvailles tardives sont l'occasion de revenir sur l'histoire de leur rencontre et sur les liens amicaux qui les ont unis au fil des années.
Sally, Larry, Sid et Charity se rencontrent alors qu'ils débutent leur vie de jeunes adultes, à Madison dans le Wisconsin. Sid et Charity, issus d'un milieu aisé prennent immédiatement Sally et Larry sous leur coupe. Les deux hommes sont professeurs d'université, soumis aux aléas des nominations, tous les deux écrivent conjointement, mais leur destinée littéraire ne sera pas la même. La narration est prise en charge par Larry, du haut de la galerie de cette maison qui les a accueillis si souvent, à l'heure où la mort s'invite parmi eux, il réécrit leur histoire, gommant les aspérités, pour ne laisser voir que la pureté d'une relation amicale que les années n'a pas altérée.
« Laisser notre marque sur le monde. Au lieu de cela, c’est le monde qui nous a laissé des marques. Nous avons avancé en âge. La vie s’est chargée de nous assagir, en sorte qu’aujourd’hui nous gisons dans l’attente de mourir ou marchons avec des cannes ou séjournons sur des galeries où jadis les fluides de la jeunesse circulaient puissamment, et nous nous sentons vieux, mal fichus et désemparés. Il m’arrive parfois d’affirmer d’un ton chagrin que nous nous sommes tous fait piéger, alors que bien évidemment piégés, nous ne le sommes pas plus que la majorité des gens. »
Faut-il nécessairement de grands drames et des disputes pour faire un grand roman ? Peut-on peindre seulement la vie qui s'écoule, cahin-caha, mais toujours illuminée par des rencontres humaines qui nous transcendent ? Là réside le talent de Wallace Stegner, figure incontournable de la littérature américaine, et couronné par de nombreux prix ; il a su capter l'essence des relations humaines dans ce roman qui sera son dernier.
« Tout d’un coup, j’ai réalisé que ce minuscule petit pois, bleu et joli, était la Terre (…) Loin de me croire un géant, je me suis senti petit, tout petit. » Neil Armstrong, 1970
Policier de la Lune, ce pourrait être un métier détonnant : la tête dans les étoiles, à léviter et observer de loin la Terre. Mais ... Non. Notre policier de la Lune s'ennuie, il commande des donuts à la machine à donuts, fait des rapports reproduisant le néant que sont ses journées, et s'il demande une mutation, on lui envoie un robot-psy qui ne tarde pas, lui aussi, à péricliter... Les autres citoyens de la Lune ne s'y trompent pas, eux qui quittent peu à peu le satellite pour revenir vers la Terre.. Les avancées technologiques ont leurs revers.
Si cet album est surprenant par le vide auquel il nous confronte, il propose aussi une réflexion intéressante que les avancées technologiques, avancées qui finalement semblent nous ramener à notre solitude première, cette solitude teintée de mélancolie. A quoi bon la conquête spatiale si c'est pour retrouver les mêmes travers de la vie terrienne ? Réfléchissez bien avant de vous envoler vers les étoiles...
Michel, agent immobilier résolument parisien à l'ambition démesurée, passe quelques jours en vacances dans un hôtel à la Baule. Il hante les rues de la cité balnéaire au volant de sa Porsche, écume les bars et boites de nuit pour étaler son argent et son charme. Par un hasard comateux éthylique il se retrouve un matin sur les terres de Jean, paludier besogneux, peu enclin à accueillir cet invité indésirable. Ces deux êtres solitaires se côtoient quelques temps, esquissent quelques pas d'amitié, pour le meilleur et pour le pire...L'amitié est-elle réellement un pacte de sel inaltérable ?
Ces deux êtres fous, improbables, sont pétris de défauts, souvent border-line et ces failles les rendent attachants, comme cela était déjà le cas dans le magnifique premier roman de l'auteur En attendant Bojangles. L'auteur sait se démarquer par ses situations loufoques, ses dialogues au rythme enlevé qu'il a appris chez Antoine Blondin, écrivain qu'il admire.
Le lieu est également un personnage à part entière, bien plus présent que l'intrigue, ténue, concentrée autour de ce corps retrouvé dans les marais. Olivier Bourdeaut a été lui-même cueillir la fleur de sel durant quatre mois dans ces marais, et sa fascination pour ce lieu changeant, soumis aux aléas météorologiques transparait en ses lignes.
Mais : Malheureusement les envolées lyriques mâtinées de métaphores filées interminables que l'auteur consacre à ce lieu tombent à plat."En contrebas, s'étalait, comme une robe déployée, un modèle de haute couture naturelle. Le tissu de gazon, vert brillant, ceinturé par le gris pâle du remblai, débordait légèrement sur la manche de sable humide aux reflets d'argent. Dentelé d'une fine écume de mousseline, l'ourlet d'une mer saphir s'accrochait au ciel, par un horizon franc qui finissait magistralement le déguisement des éléments."
Bilan : Un roman pétillant grâce à ses dialogues et à ses personnages improbables.
Thérèse Desqueyroux sort libre du Palais de Justice, un "Non lieu" décide de son destin. Sur la route qui la ramène vers son époux, elle prépare les mots qui expliqueront, peut-être, sa conduite et qui la rachèteront aux yeux de celui qu'elle a voulu empoisonner, mais qui l'a soutenue en vue de son acquittement. La narration plonge à la fois dans le passé, dans l'avenir et l'espoir, pour mieux auréoler ce présent en attente durant lequel tout est encore possible. Le trajet solitaire est propice à l'introspection, mais face à cet homme pétri de respectabilité, Thérèse se refermera sur elle-même.
"Les êtres que nous connaissons le mieux, comme nous les déformons dès qu'ils ne sont plus là !"
Thérèse Desqueyroux est cette femme traquée aperçue par Mauriac lors d'une audience d'un procès, la jeune Henriette Blanche Canaby, mais c'est aussi cette femme croisée un soir dans le salon d'une maison de campagne, cette femme enfermée entre un mari naïf et des parentes pressantes, et ce seront finalement toutes les femmes captives, derrière les "barreaux vivants d'une famille", ces femmes qui croulent sous le poids de la parentèle, de "l'esprit de famille".
"Je sais que le drame de Thérèse Desqueyroux, c'est le drame de l'inadaptation à la vie, le "nous ne sommes pas au monde."" dira l'auteur
Thérèse est différente de son milieu natal, il y a en elle ce quelque chose d'ardent et de brûlant qui s'oppose à la mollesse de la campagne. Cette ardeur se tourne un temps vers Anne, sa belle-soeur, avant d'être déçue, trahie, et renvoyée à sa solitude clairvoyante.
"Les femmes de la famille aspirent à perdre toute existence individuelle. C'est beau, ce don total à l'espèce ; je sens la beauté de cet effacement, de cet anéantissement... Mais moi, mais moi..."
Ce roman et cette héroïne, profondément touchante dans son désoeuvrement, sont d'une intensité inoubliable...