La promenade au phare de Virginia WOOLF
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"La vie, à force d'être faite de ces petits incidents distincts que l'on vit un à un, finit par faire un tout qui s'incurve comme une vague, vous emporte, et, retombant, vous jette violemment sur la grève."
En ce soir d'été sur une île au large de l'Ecosse, Mrs Ramsay promet à son fils James que le lendemain ils tenteront une excursion jusqu'au phare qui illumine leurs soirées de sa lumière intermittente. Mais selon son mari, l'excursion sera compromise en raison du mauvais temps. cette simple scène met en lumière les rapports humains qui régissent cette famille : entre la mère aimante et dévouée Mrs Ramsay, cette femme souple qui essaie toujours de faire le bonheur de son entourage et son mari, beaucoup plus dur et rigide, le contraste est saisissant.
Dans ce roman, Virginia Woolf évoque son père, avec qui elle a toujours rencontré un problème relationnel, ce dernier la brimant dans son acte de création. Grâce à son roman et à sa fonction cathartique, elle se débarrasse du fantôme de ce père aux allures tyranniques. Son roman est construit autour d'une image-contraste, entre le lyrisme de l'écriture, de la création et un quotidien beaucoup plus banal englué dans des considérations triviales.
Après sa mort, Lily, une peintre qui a elle aussi séjourné sur l'île comprendra que Mrs Ramsay insufflait du sens dans l'existence naturellement dépourvue d'un quelconque sens : en créant un environnement propice, en se souciant de l'atmosphère, de l'harmonie des choses, de façon à ce que chacun se sente hors du commun, Mrs Ramsay est l'artiste par excellence dans cet art d'arranger des choses, et de procurer le bonheur, de faire de l'instant présent quelque chose de permanent en parvenant à stopper l'instant.
"La grande révélation n'était jamais venue. La grande révélation ne vient peut-être jamais. Elle est remplacée par de petits miracles quotidiens, des révélations, des allumettes inopinément frottées dans le noir."
Par le grossissement des détails, l'auteur nous montre que chaque détail vaut pour le tout, dans une esthétique dite du fragment assez particulière. Chaque évènement ne vaut que comme le reflet d'une conscience, le rendu de la conscience étant au centre de l’œuvre de Virginia Woolf. Les autres sont difficilement compréhensibles, les relations humaines ne souffrant pas l'examen de cette conscience singulière :
"Comme jugeait-on les autres, comment pensait-on à eux ? Comment ajoutait-on un tel trait à tel autre et concluait-on que c'était en définitive de la sympathie ou de l'antipathie que l'on éprouvait ? "
Les mots n'atteignent jamais leur but, trop rapides, ils tombent souvent à plat et "La moitié des notions que nous nous formons que les gens sont en somme grotesques. Elles servent nos propres buts."
Seule la conscience prévaut et cette capacité à se lover en soi-même :
"Ils devaient sentir que ce qui de nous apparait aux autres, ce par quoi ils nous connaissent, ne représente qu'une puérile réalité. Sous cette apparence tout est sombre, tout s'étend, tout a d'insondables profondeurs. Mais de temps en temps nous montons à la surface et c'est cela qu'on aperçoit de nous."
Par l'acte de création, l'être se sauve et sauve la réalité vide qui se laisse difficilement saisir...
"Chose étrange, pensait-elle, que, lorsqu'on est seul, on se sente ainsi attiré vers les choses, les objets inanimés, les arbres, les ruisseaux, les fleurs ; il semble qu'ils vous expriment ; qu'ils deviennent vous-même ; qu'ils vous connaissent, et, en un certain sens, sont vous-même ; on éprouve ainsi pour eux (elle regardait cette longue lumière calme) une irrationnelle tendresse semblable à celle que l'on éprouverait envers soi-même. Du sol de l'esprit (elle regardait, regardait toujours ses aiguilles levées), de ce lac qu'est l'être montent en volutes une vapeur, une fiancée allant à la rencontre de l'aimé."
Présentation de l'éditeur : Folio
Du même auteur :La chambre de Jacob ;