Jocelyn Pierston est un sculpteur de talent originaire de l’île de Portland, dans le Dorset. Il tombe régulièrement amoureux, à la recherche de la femme parfaite, celle qui serait "le réceptacle éphémère d'un type idéal" et qu'il surnomme "la bien-aimée". Elle n’est pas une personne réelle, mais un idéal changeant, une muse spirituelle qu’il projette sur différentes femmes au fil du temps, ce qui le condamne à une insatisfaction perpétuelle.
Ce que j'ai aimé :
Hardy explore la tension entre l’amour idéalisé, qu'il s'agisse de la muse ou de l’inspiration artistique, et l’amour réel, concret. Prisonnier d'une quête impossible, Jocelyn condamne les femmes à qui il s'attache à une souffrance inexorable. Il aime finalement l’idée de l’amour plus que l’amour lui-même.
Ce que j'ai moins aimé :
L'aspect un peu répétitif peut être lassant.
Bilan :
Un roman méconnu de Thomas Hardy qui mérite d'être remis en avant ! Il se distingue des autres œuvres de Thomas Hardy en se focalisant sur les thèmes de l'idéalisation et de l'art.
Théo Faber est un psychothérapeute qui obtient un nouveau poste dans un hôpital psychiatrique pourtant peu renommé. Il a demandé cette mutation parce qu'il s'intéresse à une patiente, Alicia Berenson, artiste peintre accusée d'avoir tué son mari brutalement. Seulement la jeune femme reste murée dans son mutisme depuis ce drame, et si elle a été retrouvée en état de choc devant le cadavre de son mari avec une arme à feu à la main, elle refuse d'expliquer ce qui a pu se passer... Théo voudrait comprendre et livre alors une enquête pour découvrir la vérité.
Ce que j'ai aimé :
Les manipulations psychologiques, les rebondissements et les révélations inattendues sont les éléments clés de ce thriller. L'auteur joue avec les attentes du lecteur et tisse une toile de mystère complexe autour des motivations des personnages. La fin du livre, en particulier, est un véritable coup de maître qui ne laisse personne indifférent.
Birdie élève seule sa fille Emaleen au cœur de l’Alaska. Elle doit jongler entre son emploi de serveuse, sa fille et les tentations multiples liées à la drogue, l'alcool, la fête. Un jour, Emaleen se perd dans les bois et est sauvée par Arthur, un homme taciturne au visage marqué, vivant en ermite dans une cabane isolée au milieu des montagnes. Tous se méfient de lui, mais Birdie est attirée par son mode de vie, loin de la civilisation et malgré les mises en garde, elle tombe amoureuse de cet homme mystérieux et choisit de s'installer avec lui et sa fille dans cet endroit retiré. Mais peu après leur arrivée, Arthur adopte un comportement de plus en plus inquiétant.
Ce que j'ai aimé :
Birdie est émouvante, tentant l'impossible pour s'en sortir et offrir un cadre adapté à sa fille, mais hantée par ses démons et son envie de vivre totalement libre. La scène où elle part seule en expédition dans la forêt symbolise bien ce déchirement perpétuel entre son rôle maternel et son envie de liberté. Elle fait des choix qui mettent malgré tout sa fille en danger, la jeune Emaleen étant rapidement confrontée à des situations qui la dépassent. Leur lien reste touchant.
"D'aussi loin qu'elle s'en souvenait, Birdie avait violemment désiré quelque chose qu'elle n'avait jamais pu nommer. Il y avait eu de brefs instants, au sommet d'une défonce, juste avant la chute, où elle en avait presque senti le goût, mais durant tout ce temps, sa frénésie désespérée n'avait fait que l'en éloigner toujours plus.
Parce que l'objet de son désir violent, c'était la vie elle-même. L'ombre qui nageait dans les eaux claires. Les baies, les champignons et les racines sauvages - quand vous les portiez à votre bouche en pleine vie et que vous plantiez vos dents dans leur chair, à chaque bouchée que vous avaliez, c'était comme un concentré de lumière qui inondait vos veines."
Inspiré des contes de fée, ce roman entremêle savamment aventure, nature et surnaturel, tout en interrogeant sur les choix de la jeune Birdie.
En ce dimanche des mères de 1924, la coutume veut que les aristocrates donnent congés à leurs bonnes pour que ces dernières rendent visite à leurs mères. Jane, jeune femme de chambre orpheline ne sait pas vers où vont diriger ses pas quand son amant Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille lui demande de le rejoindre dans sa demeure désertée. Le jeune homme doit prochainement se marier, et leur longue liaison risque alors de prendre fin. Elle le rejoint alors, et les heures s'étirent délicieusement jusqu'au départ de Paul qui doit rejoindre sa fiancée.
Portait d'une âme en errance qui se construit au fil des pages, ce roman magnifique chante les miracles de la création. Jane a grandi dans un orphelinat puis a été placée comme domestique dans une famille qui lui ouvre par chance les portes de la bibliothèque familiale. Les livres sont une découverte pour elle, elle n'aura de cesse de se plonger dans les romans d'aventure, puis par la suite, elle transmuera ses expériences en œuvre littéraire, comme une évidence. Les frontières entre récit et réalité s'estompent alors :
"Pouvait-elle faire la part des choses et séparer ce qu'elle avait vu en imagination de ce qu'elle avait réellement vécu ? (...) Le propre de l'écrivain n'était-il pas de saisir la vie à bras-le-corps ? N'était-ce pas là tout l'intérêt de la vie ?" p. 63
Jane fait "commerce des vérités" et transforme dans sa mémoire littéraire l'après-midi passé aux côtés de Paul en bijou parfait aux contours ciselés. Là est la force de la création, inscrire ces quelques heures dans l'éternité pour que cet instant résonne dans l'âme et bouleverse à jamais l'ordre des choses.
"Ils allaient enfin se rendre maîtres de quelque chose."
En 1864, Joseph Blackstone quitte l'Angleterre avec sa femme Harriet et sa mère Lilian pour s'installer près de Christchurch, en Nouvelle-Zélande.Espérant fuir son passé et bâtir une nouvelle vie, Joseph est confronté à une existence rude et à une pauvreté presque insupportable.Lorsqu'il découvre de l'or au fond d'une rivière, il cache cette trouvaille à sa famille et, devient rapidement obsédé par l'idée de faire fortune.
Ce que j'ai aimé :
Harriet apparait comme une femme animée d’une détermination farouche dans sa quête personnelle. Elle s’impose comme une figure de résilience et de courage face à l’inconnu. Elle seule est réceptive aux confidences du jeune Edwin qui communique avec sa nourrice maorie et comprend ses croyances. Cette relation souligne avec finesse les tensions, mais aussi les possibles échanges entre les colons européens et les populations autochtones, révélant la complexité des rapports humains en contexte colonial.
Tandis que Joseph est consumé par sa soif d’or, symbole d’avidité et de vide existentiel, Harriet s’épanouit dans la contemplation d’un jardin paradisiaque, véritable métaphore d’une quête de sens et de bonheur plus profonde.
Bilan :
À travers une écriture riche et sensible, Tremain déploie une narration puissante et offre des personnages d'une grande profondeur psychologique, rendant son roman aussi captivant qu'émouvant.
Aristide Leonides, un riche industriel d’origine grecque, vit entouré de plusieurs générations de sa famille dans une grande demeure familiale anglaise surnommée "la maison biscornue" à cause de son architecture irrégulière. Lorsqu’il est retrouvé mort, empoisonné, tout le monde devient suspect.
Le narrateur, Charles Haywardest fiancé à la petite-fille du défunt, Sophia. Il est invité à enquêter discrètement sur le meurtre, car la police pense que le coupable est forcément un membre de la famille. Ce qui s’ensuit est une plongée dans les tensions, les rancunes et les secrets de cette tribu apparemment unie.
Ce que j'ai aimé :
Ni Hercule Poirot ni Miss Marple n’apparaissent dans ce roman. L’enquête repose sur un narrateur extérieur à la police, ce qui donne une ambiance plus intime et psychologique.
Le dénouement est particulièrement osé pour l’époque, et même aujourd’hui, il reste troublant. Christie y brise certains tabous qu’elle abordait rarement de manière aussi frontale.
Bilan :
Un des romans préférés d’Agatha Christie elle-même. Elle le considérait comme l’un de ses meilleurs, notamment en raison de la complexité psychologique de l’intrigue et de son dénouement audacieux.
Une plongée glaciale dans les profondeurs de l'âme humaine...
En Angleterre, Clara Burnham, jeune femme douce et sensible, tombe amoureuse de Franck Aldersley, un jeune officier de la marine. Ce dernier est en concurrence avec Richard Wardour, un homme sombre, passionné et instable, lui aussi amoureux de Clara. Quand Clara choisit Frank, Wardour est profondément blessé. Peu après, Frank part pour une expédition en Arctique, à la recherche d’un navire perdu. Wardour apprend qu’il fera partie de la même expédition. Il jure alors de se venger et de faire du mal à Frank — sans savoir que c’est précisément Frank qui est l’élu de Clara.
Ce que j’ai aimé :
En quelques mots, quelques phrases, le talentueux Wilkie Collins nous emmène dans son univers : nous sommes au XIXème siècle, au bal aux côtés de la frêle Clara attirée par le beau Frank mais torturée par un malentendu passé qui risque de bouleverser son univers.
Puis quelques pages plus tard, l’auteur nous plonge dans l’univers glacial des explorations polaires avec le départ de deux navires vers le pôle Arctique, lancés à la recherche d’un passage. Le beau Franck est du voyage, aux côtés du trouble Richard. Nous tremblons de froid et de peur à l'idée de rester enserrés dans ces régions inhospitalières, à la recherche de ce passage improbable qui s'éloigne inexorablement. L'auteur s'inspire ici de l'expédition Franklin débutée en 1845 et ayant pour but de découvrir un passage est-ouest au nord du continent américain, afin de rejoindre l'océan Pacifique par de nouvelles voies, celle de l'océan Arctique.
L’aventure est au rendez-vous, mais aussi une analyse très fine de l’âme humaine capable du meilleur comme du pire. Ses personnages troubles oscillent entre aspiration au bien et tentation plus sombre, ils sont tous habités par des forces qui quelquefois les surplombent. Réussiront-ils à lutter contre leurs démons intérieurs ou sombreront-ils dans la folie et dans la mort ?
Une très belle introduction pour ceux qui ne connaissent pas encore l’œuvre passionnante de Wilkie Collins.
« Je ne veux pas être des « gens comme nous ». Je veux décider par moi-même de ce qui est bien ou mal. » (p. 496)
Rebecca (Bec), est une brillante scientifique engagée dans la lutte contre le paludisme. Son frère Ritchie, quant à lui est une ex-rock star reconvertie en producteur de télévision à succès.Lorsque Bec refuse la demande en mariage de Val, un journaliste people influent, celui-ci décide de se venger en faisant chanter Ritchie : il menace de révéler sa relation avec une mineure de 15 ans s’il ne lui fournit pas des informations compromettantes sur sa sœur . Ce chantage met à l’épreuve les liens familiaux et soulève des questions profondes sur la loyauté, la trahison et la morale.
Ce que j’ai aimé :
A l’époque où l’intime s’affiche dans tous les médias, où la transparence est souhaitée, traquée, mais où les failles sont aussi attendues et rêvées, il devient difficile de vivre sa vie sereinement pour toute personne se retrouvant sous les feux des projecteurs. Les uns espionnent les autres en espérant le faux pas, celui qui lui permettrait de se sentir supérieur à l’autre. James Meek pousse la logique jusqu’au bout en créant une entité gardienne de la moralité : La Fondation morale. Ces derniers attendent que les médias aient établi une réputation, puis la détruise avec un scoop au nom de la moralité, tout en laissant le choix de dénoncer quelqu’un de son entourage pour ne pas être touché.
Ritchie va en être victime et il va devoir choisir entre résister, comme son père avant lui, officier tué en Irlande pour ne pas avoir dénoncé un informateur, mais risquer de voir s’étaler sur la place publique des secrets inavouables qui feraient voler sa vie en éclat, ou bien trahir, vendre sa sœur, se préserver en trahissant sa famille.
« J’ai un tas de clients, réplique Midge. Ils aiment tous raconter leur vie. Et ça se résume à deux choses. Primo, ils n’arrivent pas à contrôler leur bite. Deuzio, ce pays est plein de mouchards et de balances… (…) De traîtres, poursuivit Midge. Des gens prêts à vous vendre. De filles qui couchent pour pouvoir raconter. De paparazzis. De marchands de tuyaux. De portables qui prennent des photos. Une vraie putain de Stasi… Comment croyez-vous que fonctionne un Etat policier ? Je vous donne un indice : ce n’est pas grâce à la police. Surveillez vos amis… la moitié du pays est prête à dénoncer l’autre. » (p. 195)
Une réflexion sur la moralité et sur la frontière mouvante entre le Bien et le Mal, s’amorce alors, ce roman entrant dans nos consciences pour analyser le phénomène et nous secouer :
« Vous pouvez commettre un acte, reprit-il, quelque chose de mal, et savoir que vous l’avez fait, mais personne d’autre le sait, ça reste un secret. Mais le truc, quand on se fait prendre, ce n’est pas seulement que tout le monde sait ce que vous avez fait. Le truc, c’est que vous ne savez pas vraiment ce que vous avez fait, jusqu’au moment où vous savez que tout le monde sait. » (p. 296)
Parallèlement, Bec, scientifique oeuvrant contre le paludisme cherche à apporter sa pierre à l’édifice de la science. Les ambitions des scientifiques faites de risques et de ratages, pour le bien fondé de la science et du progrès s’entremêlent subtilement au thème de la moralité.
Au terme de tergiversations nombreuses et aléatoires, Ritchie devra faire son choix, même s’il sait que la liberté individuelle et collective est la seule issue, chacun devant être son propre censeur.
"Et si les souvenirs d’un pays tenaient dans les veines d’une famille ?"
Tout commence à Maracaibo. Une mendiante, muette et invisible au monde, trouve un nourrisson abandonné sur les marches d’une église. Ce bébé, c’est Antonio. Et de cette première scène quasi biblique, naît une fresque romanesque aux allures de légende. Antonio, le garçon de rien, deviendra un chirurgien émérite marié à Ana Maria, la femme médecin — pionnière, rebelle, solaire. Leur fille s’appellera Venezuela, comme un cri d’amour à leur pays, mais aussi comme une promesse d’exil. Et au milieu de ces vies : la dictature, les espoirs, la jungle, la ville, la révolte.
Ce que j'ai aimé :
"Si tu veux devenir écrivain, parle avec ceux qui ne le sont pas." conseille un personnage à Cristobal qui souhaite devenir romancier. En incarnant la grande histoire dans l'intime, le récit se fait poétique sans jamais être prétentieux, politique, mais toujours profondément humain. Au fil des pages et aventures, se font entendre les cris de la rue, le bruissement des arbres, les soupirs des cœurs amoureux et les voix des ancêtres.
Le souffle romanesque de cette saga familiale vibrante est marquant, on lit ce romancomme on écouterait un conte au coin du feu — envoûté, suspendu, le cœur tambourinant parce que Bonnefoy a ce don rare : celui de raconter l’intime avec l’ampleur de l’épopée.
"Lire, ce n'est pas voyager. Les pages ont l'immobilité du métal et de l'agate. Cristobal s'attelait à ces royaumes pétrifiés, plongé dans leurs géométries d'encre et de grain, se perdant dans ses labyrinthes pour mieux se retrouver, se heurtant chaque fois aux mêmes mâts de leur beauté. C'est là que réside la fondation invariable des hommes, la part de refuge où se reposer du chaos, un havre sans départ ni exil. Les romans sont une île entourée de terre."
Bilan :
Un récit ample, fiévreux, d'une beauté brute, porté par une plume qui fait vibrer les mots...